Errant dans un profond désespoir, plus aucune forme de bonheur ne réside dans l'empire du Milieu

Ce qui est le premier et malheureusement le dernier long-métrage du réalisateur Hu Bo est une des œuvres les plus importantes de cette dernière décennie.


An Elephant Sitting Still suit la trajectoire de 4 personnages: Un lycéen qui a bousculé un petit voyou l’ayant rendu inconscient, un vieil homme contraint de partir en maison de retraite, une lycéenne qui découvre des vidéos d’elle compromettante avec un professeur et un voyou qui voit son meilleur ami se suicider sous ses yeux, suicide dont il est responsable. Tous ces personnages se dirigent vers un endroit précis: Manzhouli. A Manzhouli, il y a un éléphant, qui reste assis toute la journée, qui ne bouge jamais. Il reste un dernier personnage omniprésent dans le film de Hu Bo, un personnage qui tourmente tout les autres. Ce personnage, c’est la ville.


C’est de loin l’une des œuvres les plus déprimantes que j’ai pu voir. La société chinoise est destructrice, elle évapore toute forme d’espoir. Les personnages sont contraints d’y errer, et peinent à s’y émanciper. Constituée intégralement de petit plan-séquence, la caméra du réalisateur suit de près les visages des personnages, en fait, elle ne les quitte jamais. La caméra de Hu Bo fait parfaitement ressortir le désespoir des personnages, des personnages qui ne parviennent plus à espérer. Nous sommes constamment étouffés par les visages des personnages, eux-mêmes étouffés par le monde qui les entoure. Ce monde, orchestré par le gouvernement chinois, condamne ses habitants dans un avenir incertain, suffoquant dans une violence physique et psychologique quotidienne. Cette même violence, Hu Bo ne la filme jamais directement. Un suicide, une bagarre, un chien tué, tous ces événements qui se produisent sous nos yeux ne sont pas montrés aux spectateurs. Le réalisateur ne veut pas que l’on quitte les personnages des yeux, il ne veut pas nous montrer autre chose qui pourrait détourner notre regard des personnages. Ce qu’il filme à ces moments-là, ce sont les réactions des personnages face à ses événements. Mais ne contenant plus rien d'autre qu’un profond désespoir, il n’y a rien qui sort de ces personnages.


Prisonniers de cette ville affligée, une minime forme d’espoir a porté nos personnages à s’enfuir. Ce n’est qu’une fois après avoir fui la ville que nous avons pour la première fois un plan dans lequel nous voyons aucun de ces 4 personnages. En quittant pour la toute première fois la caméra, les personnages arrivent enfin à sortir de la ville. Le plan final est lui aussi le premier à être distant des personnages. C’est dans la nuit, éclairé par les feux d’un bus, que les personnages arrivent pour la première fois à avoir des interactions sociales saines. Nous voyons nos 4 personnages interagir avec d’autres personnes, par le biais de passes avec un objet que nous n’arrivons pas à distinguer. La forme d'interaction la plus banale qui soit, est la première à laquelle nous assistons après plus de 3h30 de film. Quitter cette société profondément souffrante permet aux personnages de s’émanciper quelques instants du désespoir qui pèse sur tous les habitants, et parviennent à goûter à un avant-goût de bonheur. Un bonheur auquel ils n’avaient pas goûté depuis fort longtemps.

Vyroze
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le 30 mai 2023

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