Le groupe Sparks et le cinéma est une grande histoire d'amour-haine. C'est ainsi que l'on retrouve les frères Mael sur la bande-originale de Piège à Hong Kong (1998), mais aussi sur une flopée de projets avortés (dont un avec Jacques Tati, un autre avec Tim Burton). Il y a 8 ans, ils se lancent dans Annette, un musical où se rajoute Leos Carax alors auréolé de l'aura d'Holy motors (2012).
Mais le projet multiplie les faux-démarrages, principalement dus à son casting. Adam Driver est annoncé dès 2016, mais sa partenaire se fait attendre. Tout d'abord Rooney Mara, puis Michelle Williams et finalement ce sera Marion Cotillard. Rihanna devait un temps jouer dedans, mais cela ne s'est pas fait non plus. Sans compter des problèmes de planning avec Driver suite à son implication dans la franchise Star Wars entre 2012 et 2019.
Même Carax fut un temps hésitant à cause du portrait du père, ressortant d'une histoire familiale douloureuse (le suicide de sa compagne Katerina Golubeva). Toutefois, il se trouve qu'il aimait beaucoup les chansons des Sparks et c'était également le cas de sa fille Nastya. Cette dernière l'ayant convaincu, il se lance définitivement dans Annette et c'est elle que nous voyons à ses côtés dans la salle d'enregistrement lors de l'ouverture.
Contrairement à d'autres films sortis depuis le déconfinement, Annette est un vrai film de 2021, n'ayant jamais été montré en festivals avant, en dehors des présélections cannoises (où il fut finalement l'ouverture) et bien qu'annoncé à des dates antérieurs, il n'a été tourné qu'en 2019. Annette happe dès ses premières minutes avec une ouverture jouant de la mise en abyme sur une chanson entraînante et laissant entrevoir pas mal de choses. Car oui Annette navigue sur pas mal de sujets sans réel tabou, passant de scènes de sexe gourmandes et croquantes à des morts "poétiques" ou plus brutales, sans compter des thématiques dans l'actualité.
Le film a beau avoir été écrit avant l'affaire Weinstein, il n'en reste pas moins que le harcèlement sexuel à Hollywood n'a rien de nouveau. D'autant que Carax s'amuse des chaînes de télévision type E ! Entertainment avec des procédés visuels à peine meilleurs. Des scènes qui apparaissent d'ailleurs comme des transitions de qualité, permettant ainsi de ne pas surexpliquer les enjeux. De même, en plein scandale Free Britney, le film parle d'exploitation de son enfant dans le milieu artistique de manière subtile avec tous les enjeux financiers reposant sur une seule personne ou du moins c'est ce qu'elle pense. Une exploitation grotesque comme le show business en adore.
Adam Driver signe une prestation sans cesse changeante, passant de vedette adulée à détestée, d'amant transi d'amour à homme abusif, de bon père à exploitant véreux du talent de sa fille. Ce qui en fait un personnage passionnant à suivre, emportant le spectateur vers des virages différents. Le couple Driver / Cotillard fonctionne plutôt bien, entrant en symbiose rapidement (y compris durant l'ouverture).
Le personnage de Simon Helberg est peu présent, voire invisible durant une bonne partie du film, avant d'être exploité avec mélancolie pour le bonheur du spectateur. Un second-rôle avant tout, mais qui a une vraie importance dans le film, notamment en ce qui concerne le développement d'Annette. La première vision de la petite fille tient du bizarre pur, au point de croire à une blague à la Twilight. Puis plus le film avance, plus le procédé fonctionne, d'autant plus que les expressions faciales de l'héroïne parviennent à émouvoir le spectateur et à en faire un vrai personnage actif.
Annette est un film tantôt cruel, tantôt très beau, parvenant à évoquer le show business, ses icônes, leur bonheur et leurs problèmes, qu'ils tiennent de la surmédiatisation à leurs travers les plus dangereux. On peut ne pas être fan du parler-chanter, mais les Sparks parviennent à bien retranscrire les pensées des personnages à travers les chansons et la musique plus généralement. Le film annonce dès son ouverture "un conte de chansons et de furie". Leos Carax l'a fait avec ce qui restera un des plus beaux films français de cette année.