Auto-Annihilation
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Qui est le film ?
Après Ex Machina, Alex Garland poursuit avec Annihilation une exploration des frontières mouvantes entre l’humain et l’inhumain. Adapté librement d’un roman de Jeff VanderMeer, le film paraît en 2018, presque en contrebande : produit par Paramount, jugé trop étrange, il sort timidement en salles avant d’être propulsé sur Netflix. Cet accueil ambigu révèle beaucoup sur la nature du projet. Annihilation n’est pas un divertissement de science-fiction classique. C’est une expérience sensorielle et intellectuelle, un récit de transformation où le suspense côtoie le vertige philosophique.
En surface, l’histoire est celle de Lena, biologiste et ancienne militaire, qui rejoint une expédition de cinq femmes dans une zone mystérieuse (le “Shimmer”) où les lois de la biologie et de la physique se recomposent. Leur mission : comprendre pourquoi nul n’en est revenu indemne.
Que cherche-t-il à dire ?
Sous sa trame d’exploration, Annihilation met en scène une crise ontologique : qu’est-ce qui définit une identité ? Une mémoire ? Un corps ? Garland s’intéresse moins à l’invasion extraterrestre qu’à l’inquiétante plasticité de nos existences.
Le film ne cherche pas à terrifier par la menace d’un ennemi conscient. Ce qui trouble, c’est que le Shimmer n’a pas de projet. Le Shimmer n’est ni malveillant ni bienveillant. Il est. Il agit comme une entropie créative, une pulsion de recombinaison.
Par quels moyens ?
Dès que l’équipe pénètre la frontière iridescente, Garland opte pour un changement de texture : les sons deviennent cotonneux, la lumière se diffracte en nappes pastel. Ce glissement sensoriel ne relève pas seulement de l’esthétique : il signifie une perte immédiate de repères temporels. La déréalisation s’installe avant même que la menace ne se manifeste.
Dans la base abandonnée, les personnages découvrent un corps humain littéralement ouvert en corail végétal. La caméra ne se détourne pas. Elle s’attarde sur la beauté malsaine de la chair florale. Ce plan force le spectateur à accepter l’ambivalence : ce qui est monstrueux est aussi fascinant. C’est une scène pivot qui condense le projet du film : montrer qu’aucune transformation n’est purement négative.
Peut-être l’image la plus glaçante : un ours, porteur de la voix enregistrée d’une femme qu’il a tuée. Lorsqu’il pousse un cri, ce sont des appels humains qui résonnent. Garland filme la scène dans une semi-obscurité, immobilisant les personnages tétanisés. La peur naît moins du prédateur que de ce mélange : le vivant et l’humain fusionnés jusqu’à l’indistinction.
Dans l’épilogue, Lena affronte un double mimétique. Pas de violence franche, mais une chorégraphie incertaine. Chaque geste est reproduit, amplifié, retourné. Garland recourt ici à un montage ralenti, à une respiration sonore discontinue qui ressemble à un souffle mécanique. Cette scène, plus qu’aucune autre, matérialise la tentation de l’effacement : Lena est sur le point de disparaître dans une forme sans conscience.
Le plan final montre Lena retrouvant Kane, revenu du Shimmer, mais changé. Leur étreinte est silencieuse, cérémonielle. Quand leurs yeux se croisent, ils reflètent la même lueur phosphorescente. Aucune explication n’est donnée. La clôture narrative est refusée.
Où me situer ?
Je regarde Annihilation comme un film rare : un récit de science-fiction qui ne craint pas l’hermétisme partiel, qui privilégie l’expérience à la démonstration. J’admire la cohérence de son esthétique : cette matière liquide, ces sons étouffés, ces images oscillant entre l’organique et l’abstrait.
Pourtant je lui reproche pourtant une certaine froideur émotionnelle et quelques clichés narratifs. Par exemple, la trajectoire intime de Lena (le deuil, la culpabilité) est esquissée plus qu’incarnée.
Quelle lecture en tirer ?
Dans le Shimmer, rien ne se conserve intact. Tout se contamine, se recompose. La peur n’est pas d’être détruit, mais d’être transformé.
Cette proposition n’est pas qu’un exercice de style. Elle interroge nos certitudes modernes sur l’identité : notre corps, notre psyché, notre histoire sont-ils si stables qu’on le croit ? Le film affirme qu’ils ne le sont pas, et qu’il faut parfois traverser la dissolution pour accueillir la recomposition.
Rien, ici, ne revient à l’état initial. Ni Lena, ni Kane, ni la nature. Et c’est sans doute le geste le plus audacieux de Garland : faire du changement une expérience ni positive ni négative, mais radicalement ambivalente. Une mutation où la beauté, la peur et l’étrangeté cohabitent dans un même souffle.
Créée
le 6 juil. 2025
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