Anomalisa est le film d’une rencontre entre un écrivain à la mine morne et une femme pas comme les autres dans un hôtel de Cincinnati. Le film montre un petit brin d’innocence, de franchise, de naturel, dans une société dystopique strictement homogène. La volonté explicite de Charlie Kaufman est de faire que tous les personnages se ressemblent, la grande question du film est de savoir si ce mal provient de la société entière où du protagoniste. Quelques rares retournements de situation viennent enrichir notre expérience de spectateurs qui tend à résoudre l’énigme de cette société de l’absurde, sans jamais nous donner de réponse claire. Jusqu’à la fin, le film nous place dans une posture incertaine, nous laissant le choix d’en tirer plusieurs enseignements.


Peut-être que pour mieux comprendre le traumatisme faut-il adopter une posture psychanalytique, car, en soit, la mise en scène ne nous informe que très peu sur le vrai malaise du personnage. En effet, la fixité du point de vue de la caméra rend le discours des réalisateurs quelque peu redondant, assez lassant. Tous les partis pris sont plutôt dans le jeu des voix, qui en dit beaucoup, l’idée des masques des personnages, qui sont tout à fait expressifs (au degré 0 d’émotions bien sûr)... le montage reste sobre et le point de vue assez standard. Les scènes du restaurant de l’hôtel et de la conférence de l’auteur nous informent sur l’état psychologique du protagoniste mais finissent par trop se répondre.


C’est pourquoi je pense que la prouesse du film est son autre versant, technique, celui de l’animation en stop-motion.
Nous pouvons souligner la propreté technique de l’animation. Tous les effets de texture et de matière (les gouttes sur les vitres, la buée sur le miroir, les tissus des habits et la peau des personnages) nous font vraiment nous sentir confortablement installés dans nos sièges de cinéma, dans un univers de coton et d’éclairage tamisé (rien ne seraient ces textures et matières sans le formidable travail d’éclairage, la retranscription des ambiances est parfaite !).


D’une part, cela contribue à donner au fur et à mesure l’impression d’une surdose de confort. Toute cette propreté, toute cette aseptisation n’est que le reflet d’un monde trop propre en apparence. Au début d'Anomalisa, on profite largement de ce décor de maison de poupée, on est comme projeté au sein d’une miniature dans laquelle notre regard se laisse glisser. Cette attention démesurée au détail et à la propreté de l’hôtel révèle vite un certain malaise. Il est tellement propre et bien rangée qu’il en devient vide voir fantomatique. Les personnages sont tellement soignés qu’ils en deviennent vides sous leurs masques. Les réalisateurs réussissent alors à instaurer un climat hostile voir sclérosant tout en partant d’une représentation intime du confort moderne.


Mais d’un autre côté, même si ce parti pris est totalement justifié par l’ennui du personnage face à la société, on ne peut nier qu'Anomalisa en vient à manquer de rythme. Tout ce qui construit cet univers morose et dénué de personnalité en arrive à ralentir le film de manière démesurée ! Et cette minutie semble à la longue handicaper le film. A un moment donné, l’œuvre s’engouffre dans un jeu duquel elle ne pourra ressortir. Derrière cette satire de la société de l’apparence, le film n’avance que très peu de. On pourrait même penser qu’après avoir poussé le niveau de l’animation si haut, le film ne pouvait plus se permettre que dix plans dans cinq scènes faute de manque de moyens techniques. Il devient difficile pour le spectateur de s’échapper de la redondance visuelle du film. Et même si quelques moments sont de pures pépites (le contrejour au réveil et la scène de nu) je pense que le film manque d’extravagance dans la longueur.


A la fin, j’ai eu l’impression que le propos d’un court métrage avait été mis dans un long film de deux heures.

ArtJusteMember
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le 12 oct. 2016

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ArtJusteMember

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