Ce film n'est pas une comédie romantique. C'est une pièce en 3 actes.
- La rencontre jusqu'au mariage n'est pas un conte de fée ou un remake de Pretty Woman. C'est un thriller psychologique durant lequel on se demande qui de Anora ou de son client Vanya est en train d'avoir l'autre. Est-ce Anora pour son argent ? Ou est-ce Vanya qui n'est pas sincère ? On espère que la romance est réelle, on ne cesse de douter, mais on est sur d'une chose : ça va mal fini.
- La famille de Vanya apprend pour le mariage et s'y oppose. L'épopée pour réussir à faire annuler le mariage présente les caractères d'un thriller ou d'un drame : Une bande de russes dangereux qui kidnappent Anora et recherchent Vanya quitte à user de violence, tandis qu'Anora doute de plus en plus de l'amour de son mari. Cette quête pour retrouver Vanya, qui s'était enfoui pour éviter d'annuler le mariage, se transforme en catastrophe ambulante. Les russes sont maladroits, incompétents, un peu débiles, et enchaînent les galères.
- La fin est la séquence des révélations. Certains sont dramatiques et plutôt attendues. D'autres sont surprenantes et très saisissantes (voir plus bas).
Le film est rythmé et intense : on ne s'ennuie pas, on est surpris jusqu'à la fin, mais surtout on vit, ressent l'aventure avec les personnages.
Mais ce qui m’a frappé, c’est cette façon qu’a le film de démolir méthodiquement l’image d’une femme forte - Anora - pour en révéler une autre, bien plus humaine, bien plus sensible. Au début, Anora est une strip-teaseuse qui semble tout contrôler : son agenda, ses clients, son corps, sa vie. Elle est froide, transactionnelle, presque mécanique. Rien ne semble pouvoir l’atteindre. Mais c’est justement cette carapace de contrôle absolu qui va se fissurer, puis exploser, sous les coups de la violence, de la trahison et de ses propres doutes.
La transition entre ces 2 facettes n’est pas douce. Elle est brutale. D'abord, il y a la bagarre avec les Russes, qui la réduisent à l’impuissance. Ensuite, la fuite de Vanya, son mari, qui la laisse seule avec ses illusions. Chaque coup lui fait perdre un peu plus le contrôle, la rapproche un peu plus de sa propre vérité. Elle n’est pas la femme invincible qu’elle prétendait être. Elle est perdue, vulnérable.
Le moment le plus saisissant, c’est cette scène de fin dans la voiture avec Igor. Elle couche avec lui, mais ce n’est pas du désir – c’est une tentative désespérée de reprendre le contrôle, un marchandage sordide en remerciement de son attention. Quand il essaie de l’embrasser, elle le frappe. Et puis, soudain, elle s’effondre. Les sanglots, et le lâcher prise… C’est comme si tout ce qu’elle avait refoulé remontait d’un coup, dans un mélange d'abandon, de honte et de soulagement.
Ce qui rend ce personnage si poignant, c’est qu’il est universel. Anora, c’est nous quand on croit tout maîtriser, quand on se protège trop, quand on refuse de voir sa propre fragilité. Le film nous rappelle comment quand on lutte contre sa sensibilité celle-ci finira par nous rattraper violemment. Et c’est ça, la puissance du film : il ne nous épargne pas. Il nous force à regarder la chute d’une femme qui croyait être forte, et qui découvre, dans la douleur, qu’elle est juste humaine. Comme nous.
Pourtant, ce n'est pas une faiblesse. Au contraire, comme Igor, c'est cette humanité qui nous touche.