Ce n’est pas un pays, c’est une lande de décomposition. Personne n’est sain ni fou dans un monde qui ne connaît pas la distinction du bien et du mal. La peur a disparu, le désir a disparu, toute orientation consciente de l’existence a disparu. Instinct infra-animal, pulsion sans même logique psychique, pur arbitraire de l’instant sont les signes du présent. Les hommes ne rêvent pas, ils vivent à l’intérieur même de la catégorie du rêve, de la projection fantasmagorique devenue monde où tout est damnation sans gravité car le pays du bien qu’on a quitté n’existe plus, même sous la forme du souvenir. On descend le fleuve vers nulle part et on l’atteint un jour sans s’y attendre mais sans surprise. Il n’y a pas d’événement, pas même d’événement de la fin, dans un temps qui ignore passé et futur, qui ignore la notion même d’écoulement linéaire puisqu’il n’est aspiration à rien, l’attente de la révélation dernière étant dévorée, digérée par le chemin de folie qui accule au présent toujours là, toujours à nouveau présent. Nous n’allons pas, nous sommes sur l’eau qui est mobilité et qui traverse et creuse la terre et nous. Ce qu’il y a à faire sinon survivre ? La vie a perdu son nom. Car seule la mort est une réalité sensible. Et nous lui avons donné nos vies. Et elle ne sait pas qu’il eut été possible que nous l’implorions de nous les rendre. Car nous avons oublié que c’était pour sauver nos vies que nous avions troqué la mort. Alors tout s’abandonne à l’innommable.