On peut considérer Après mai comme un préquel à L’eau froide, son chef d’œuvre. On y retrouve les mêmes prénoms, Gilles et Christine, dans ce qui pourrait aussi être un après mai douloureux, plus indécis cette fois, quand L’eau froide s’intéressait à la fugue, comme si les personnages regrettaient de ne pas avoir pleinement vécu Mai 68 et son après. Après mai est un film tiraillé, comme semble l’être depuis toujours Assayas et donc son personnage, Gilles, alter ego évident. Le film puise son inspiration dans ce qu’Assayas fait déjà depuis plus de vingt ans. En somme, il redéploie L’eau froide, la séquence de la fête nocturne en est la plus fidèle représentation. Et dans le même temps il recherche plus grand, tente la fresque, n’oublions pas que Assayas sort tout juste de l’aventure Carlos, l’un de ses plus beaux films, le plus ample, un aboutissement et plus de cinq heures de film. Et moins évident, je pense que Après mai est le film le plus proche de ce que pourrait faire Mia Hansen-Love (Sa compagne à la ville) aujourd’hui. On est moins dans le cinglant que dans la chronique, raison pour laquelle je ne vois vraiment pas cela comme une fresque mais comme la recherche d’un état, d’une ambiance, d’une douleur, quelque part entre Tout est pardonné et Un amour de jeunesse, version post soixante-huitarde.

Le film est moins une revisite de l’époque révolutionnaire qu’un morceau autobiographique. L’eau froide ne suffisait pas et Assayas, qui semble assailli par le souvenir, voulait effectuer un parallèle différent, moins centré sur les destinées amoureuses (Les sentiments de Gilles valdinguent entre Christine et Laure, le confort et la vie de bohême) que sur ses désirs de cinéma (propulsés par la peinture et le dessin) et sa difficulté à choisir entre l’engagement politique et l’inspiration artistique. Ce que je retiens de ce type de ce film n’est pas tant la cartographie historique (bien qu’il soit à mon sens excellemment documenté, riche sans être illustratif, comme Carlos précédemment) que le flux d’énergie qui nourrit son récit, sorte d’enchevêtrement de destins, au mouvement sans cesse renouvelé. On fuie les brigades spéciales dans les premières images, puis on s’exile vers l’Italie, pour revenir dans la capitale française et se retrouver ensuite à Londres. Les personnages s’effacent et rejaillissent, sont au premier plan puis disparaissent. Les fondus au noir représentent des impasses, structurations du néant. Et aussitôt le film renaît des cendres qu’il dissémine. Il y a une sensation de quête perpétuelle dans laquelle je me sens infiniment bien, typiquement le type de film qui pourrait durer une heure supplémentaire tant j’apprivoise le rythme à mesure qu’il passe.

C’est une vision un peu désenchantée (bien que jamais ostensiblement nostalgique) mais sous l’œil délicat, selon une captation sensuelle (ce qui était déjà magnifique dans L’eau froide) à travers des motifs sublimes : regards dans l’abîme, visages échoués, chevelures gracieuses, postures anachroniques, déplacements impulsifs, corps abandonnés. Le film est sans doute linéaire mais on ne retient que sa fragmentation, son effritement. C’est une affaire de mouvement, rien n’importe plus Assayas ici que de reconstruire cette gestuelle qui peuple sa mémoire, d’une époque pas si révolue mais qui aspire à des desseins isolés. Et de capter ce flux ininterrompu de désirs qui anime trois dynamiques qui ne cohabitent pas aisément : la quête individuelle, l’engagement de groupe et la rencontre amoureuse. Son film est beau. Magnifique quand il est mutique. Jamais aussi réussi que lorsqu’il saisit ces états de fuite, de perdition, mais aussi de transmission. Et c’est cette invisibilité qui me fascine, enfin plutôt cette transparence avec laquelle, par exemple, le cinéaste tente de faire jaillir les fantômes par le cinéma : un amour idéalisé et disparu (magnifique séquence de mort) dont on retrouve l’incarnation spectrale sur un écran de cinéma (la fin du film est sublime).
JanosValuska
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le 24 oct. 2014

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