Nous attendions beaucoup d’ « Aquarius » car le synopsis nous avait intrigué. Présenté comme l’histoire d’un immeuble qui permettrait de voyager dans le temps, on ne pouvait s’empêcher de fantasmer. Sauf qu’en réalité, c’était une divagation des employés du marketing car Aquarius n’est ni un film fantastique, ni (vraiment) un thriller, comme l’a laissé supposer sa bande d’annonce, mais un portrait de femme.


Plus exactement, celle d’une battante, Clara sortie victorieuse, une trentaine d’années plus tôt, d’une longue et douloureuse bataille contre son cancer du sein. Elle doit aujourd’hui composer son quotidien avec le poids de l’âge et la solitude tout en étant assaillie par une bande d’agents immobiliers bien déterminés à la dégager de son appartement afin de transformer le vieil immeuble, l’Aquarius, en résidence de luxe. L’idée brillante du film est de nous faire connaître l’héroïne grâce à l’un de ses souvenirs, précisément celui de sa plus grande victoire congratulée par son mentor idéalisé : sa tante. L’image de cette dernière va servir de phare dans la vie de Clara, la guidant dans son amour pour la vie. Ce sentiment passe par une mélancolie douce, sa passion pour la musique, toutes les joies et plaisirs du corps (principalement le sexe) mais surtout son indépendance.


Autant de facettes que le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho dépeint avec un ton oscillant constamment entre comédie et drame. C’est drôle, émouvant, lumineux, érotique, parfois anxiogène mais surtout poétique. La mise en scène de son auteur y contribue beaucoup, pas d’idées révolutionnaires mais toujours des plans justes qui font ressentir toute la sensualité de son héroïne.


Pour magnifier un portait pareil, il faut une grande actrice. Ici, Sonia Braga s’y colle. Choix plus qu’évident, tant cette grande dame du cinéma brésilien s’est imposé, au travers d’une bonne partie de sa filmographie, comme une icône féminine à la fois sensuelle et forte. Les visions fantasmées de l’amour perdu Raúl Julia dans « Le Baiser de la Femme Araignée », c’était elle ; la voleuse qui émascule Eastwood en le violant sur une chaise dans « La Relève », aussi. Dire, après ça, que le personnage de Clara risquait de lui convenir à la perfection est loin d’être un euphémisme car elle fait mieux que le jouer, elle le sublime de la première à la dernière seconde.


Avec toutes ses qualités et malgré quelques grosses longueurs, « Aquarius » aurait pu être un beau film. Sauf que son dernier tiers m’a déplu car la révolte de Clara prend, abruptement, des dimensions politiques inattendues. L’Aquarius ne devient pas un personnage mais la métaphore du Brésil d’aujourd’hui, rongé par la corruption. Le propos est louable mais introduit avec la finesse d’un Boeing 747 et justifié avec des métaphores à double sens qui pollueraient presque le message véhiculé par le portrait de Clara (voir spoil).


Au final, je me retrouve avec le même sentiment partagé que l’hermine, l’an dernier. Ce ne fut pas un mauvais moment mais j’ai ressenti l’impression désagréable que derrière une belle histoire classique mais très efficace, on voulait m’enfoncer au marteau piqueur un message politique dans mon petit cerveau. Dommage.


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Je ne vais pas revenir sur toutes les pistes évoquées et les métaphores assez faciles à comprendre, comme le nid de termite laissé par les promoteurs pour ronger l’immeuble. Je vais parler exclusivement de la scène dite « du bureau ».


Si on le prend comme le symbole du peuple révolté contre les politiciens corrompus, le geste de Clara, de poser le nid sur le bureau du promoteur, s’interprète comme une volonté de vouloir chasser le « mal » du pays. Dans ce sens, l’image est grossière mais elle fonctionne.


Par contre, si on le voit comme une métaphore de la situation de Clara, dans ce sens, le nid peut être interprété comme une représentation du cancer de Clara, qu’elle expulse sur la table, non seulement pour se débarrasser du spectre de cette maladie une bonne fois pour toutes mais surtout pour la refiler au méchant de l’histoire. Le problème, c’est qu’introduire une image aussi haineuse dans un film qui prône la beauté de la vie me laisse perplexe. Pas dans le sens où je suis choqué mais où je trouve ça un peu contradictoire.


J’ai presque l’impression que le message politique a été introduit au cours du processus pour coller à l’actualité. Quelque part, il est louable et les différents spectateurs qui s’en sont aperçu, ont salué l’audace mais je le trouve quand même vraiment maladroit.


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le 13 oct. 2016

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