Attention spoiler


El reino m'intéressait, mais c'est finalement avec As Bestas que je découvre le cinéma du réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen. Faut dire aussi qu'avec Marina Foïs (décidément, ce sera bien elle qui s'en sera le mieux sorti chez les Robins des Bois) et surtout, Denis Ménochet, possiblement l'un des meilleurs acteurs français actuel (si ce n'est LE meilleur), il ne m'en fallait guère plus pour me convaincre de regarder le film.

Ce que j'ai apprécié avec As Bestas, c'est qu'on est face à une vraie proposition de cinéma. La scène d'introduction est révélatrice du reste du long-métrage (un peu trop même, mais j'y reviendrai plus tard) avec des Aloitadores maîtrisant à mains nues un cheval. Denis Ménochet, qui campe ici le rôle d'Antoine, un ancien prof, a beau être physiquement un monstre (un cheval ?), on sait d'office qu'il ne sera pas autant « invincible » que dans un Jusqu'à la garde.


On a aussi droit à de nombreux plans-séquences, mais pas à des plans-séquences « à l'américaine » pour lesquelles il faut que la caméra bouge n'importe comment et surtout que ça pète de partout. Non, les plans-séquences de As Bestas sont posés et font leurs apparitions lorsque la « tension monte ». Pour le coup, l'une des meilleures scènes du film est, selon moi, celle où Antoine décide d'inviter Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido) à boire un verre juste après la scène du barrage nocturne. Ça nous permet enfin de confronter le point de vue des deux frangins à celui d'Antoine, de confronter ce rêveur à la réalité. Xan et Lorenzo ont toujours vécu en Galice, ils n'ont pas fait d'études, ils ont toujours été des misérables, qui vivent seuls, des personnes « qui sentent la merde » que même les prostituées rejettent : le fait d'avoir enfin un peu de fric leur aurait permis d'enfer se barrer d'ici et on comprend qu'ils puissent avoir la haine qu'un couple qui est venu ici suite à la gueule de bois du mari leur dicte ce qu'ils vont devoir faire jusqu'à la fin de leur jour. Le refus d'Antoine de signer pour l'installation des éoliennes est aussi compréhensible, il veut accomplir son rêve, il sait pertinemment que la compagnie norvégienne venue installer les éoliennes les escroquent et les frangins ont de toute façon empoisonnée sa récolte, l'empêchant alors de commencer une nouvelle vie autre part.

En somme, on voit deux groupes face à face, deux groupes que tout oppose, et on sait que ça ne va pas bien se terminer. Reste à voir jusqu'où ça va aller.


On notera d'ailleurs que, même si les deux frangins sont extrêmement critiquables et restent les seuls antagonistes du film (« expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser » diraient certaines personnes peu recommandables), à l'exception d'un personnage très secondaire qui apparaît uniquement lors d'une scène, ils ne tuent pas non plus le chien d'Antoine (accessoirement le chien de garde le moins chien de garde du monde). Je sais que ça peut paraître un poil ridicule comme observation, mais cela témoigne bien du fait que nos deux antagonistes ont bien un problème avec Antoine et Antoine uniquement. Aussi, les Galiciens ne sont pas uniformément présentés de la même manière. L'écrasante majorité des autres personnages sont respectueux avec le couple, leur parlent, dînent avec eux. On expose d'ailleurs, brièvement certes, les raisons qui les poussent à ne pas revendre leurs terres : ils sont âgés, ont vécu ici toute leur vie, et ont envie de mourir en ce même endroit.


Force est de constater que si le long-métrage s'en sort bien, c'est grâce aussi à la prestation de ses acteurs. Je ne vais pas m'étaler sur Denis Ménochet et Marina Foïs qu'on ne présente plus (je n'aime de toute façon pas les plans à trois), par contre, j'ai été bluffé par la prestation de Luis Zahera. C'est la première fois que je vois cet acteur à l'écran (il n'a d'ailleurs joué que dans cinq films, comment c'est possible ?) et je dois bien avouer qu'il m'a captivé dans chacune des scènes dans lesquelles il apparaissait. Il a beau être un « plouc », il arrive à se montrer effrayant dès la scène l'introduisant, donnant presque l'impression d'avoir affaire à un chef mafieux. Peut-être même au point où c'est probablement l'acteur que je retiendrai le plus dans ce film. De toute manière, à l'exception de Marie Colomb, qui interprète la fille du couple (oh mon Dieu cette scène dans la cuisine !), j'ai trouvé l'intégralité des prestations bonnes.


Le film est bien réalisé certes, mais malheureusement un peu trop prévisible et aussi un peu trop long. Disons que ce qui m'a le plus surpris n'est pas la mort d'Antoine (annoncé dès la scène d'introduction), mais le fait que celle-ci survienne aux deux tiers du film… d'un autre côté, ça commençait un poil à m'ennuyer de le voir se faire malmener sans qu'il agisse réellement. Ça fait parti du propos du film : on sait qu'Antoine pourrait écraser le visage des deux voisins sans aucun problème, mais on sait aussi qu'il n'en est pas capable, qu'il est dominé par la peur. À partir de là, on attend sagement le moment où il va se faire trucider, et après cette seule « surprise » du film, la caméra se concentre enfin sur Olga.

Pour le coup, ça reste tout de même pertinent de la suivre, déjà parce qu'elle n'apparaît pas assez durant les deux premières parties, mais aussi parce que cela permet de creuser ce personnage, bien plus différent que son mari : plus lucide (elle a bien conscience du danger elle), plus directe qu'Antoine (elle refuse catégoriquement l'utilisation d'une caméra afin d'espionner les deux frangins) mais aussi finalement plus courageuse que lui malgré ce que l'on pouvait voir lors des deux premières parties.

Le truc, c'est que, j'ai beau avoir trouvé le personnage intéressant à suivre, cette même troisième partie s'est montrée convenue. Certes, le film « joue » un peu avec nous en nous faisant miroiter durant plusieurs scènes le moment où Olga va enfin retrouver le caméscope avec lequel son mari a filmé ses derniers instants, il joue aussi un peu avec nous en rendant la carte mémoire de ce même appareil irréparable… mais c'est tout. Le film se conclut comme on s'y attendait : en nous indiquant, de manière implicite, que ça va mal se terminer pour les deux tueurs. D'un autre côté, une fin à la Eden Lake aurait annihilé tout le propos des deux frangins…


Bref, malgré sa prévisibilité et ses quelques longueurs, je ressors tout de même conquis du film. En fait, il m'a donné à la fois envie de m'intéresser à la filmographie de Rodrigo Sorogoyen, mais aussi à Santoalla, le documentaire qui retrace « la véritable histoire » derrière As Bestas.

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le 22 mars 2023

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MacCAM

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