As Tears Go By
6.9
As Tears Go By

Film de Wong Kar-Wai (1988)

C’est en 1988 que le réalisateur hongkongais Wong Kar-Wai réalise et sort son premier film, « As Tears Go bBy », qui met en scène deux acteurs encore relativement méconnus, Andy Lau et Maggie Cheung.


Les premières mesures d’une musique très marquée "eighties" accompagnent l’ouverture du film sur les lumières tamisées et les ambiances enfumées de Hong Kong. Bien au chaud sous sa couverture, recroquevillé au fond de son lit, Wah est brutalement réveillé par la sonnerie stridente du téléphone. C’est sa tante. Il raccroche une fois, mais la mégère est coriace. Sa cousine, Ngor, dont il ignorait jusqu’ici l’existence, est malade, et vient lui rendre visite à Kowloon le temps de consulter un médecin spécialiste. La journée commence mal. Heureusement, elle prend un tour bien plus agréable lorsque Wah découvre ladite cousine.


Pour ce premier film, avant ses romances situées dans le Hong Kong des années 60, le cinéaste propose à son spectateur une histoire dans les milieux interlopes des mafias de la cité insulaire. La trame est assez classique : un petit gangster, débrouillard et séduisant, se retrouve tiraillé entre le grand amour de sa vie, et l’amitié indéfectible qui l’unit à un loser attachant, mais irrécupérable. La vie avec la première, pleine de promesses, incarne un avenir loin de la pègre, tandis que le second enracine le héros dans son passé et le piège dans un présent sombre et sans lendemain dont il ne peut s’extraire. Il est intéressant de noter que ce schéma, traité à de multiples reprises – notamment, de manière magistrale par Sergio Leone – se résout toujours de la même manière. La différence se fait alors sur le cadre, les spécificités des personnages, et sur l’apport du réalisateur.


Le charme du premier tient à la fois à l’exotisme du lieu (Hong Kong), et à l’attrait variable de chacun pour la mégapole chinoise (que depuis 1997, cela dit). Avec un soin du détail qui caractérisera son style, Wong Kar-Wai dépeint ruelles enfumées, petits restaurants familiaux, repaires de la mafia, places de marché nocturnes bondées, appartements exigus, … avec une précision d’orfèvre, permettant une immersion totale et immédiate.


L’histoire est centrée sur trois personnages principaux : Wah, Ngor et le loser, Fly. Les deux premiers sont finalement assez monolithiques : ce sont des archétypes de héros lisses et "parfaits", qui n’ont pas vraiment de défaut ou de faiblesse. Un passif douloureux est brièvement esquissé pour Wah en la personne de son ancienne petite amie, Mabel, mais cette sous-histoire est peu développée. Fly, en revanche, bénéficie d’un traitement plus exhaustif. Son personnage est, de prime abord, assez stéréotypé : combien de films de mafia comportent-ils le minable boulet attaché au héros ? Son destin est tragique, et, au final, assez touchant. C’est un gamin paumé qui ne comprend pas son environnement, dans lequel il ne peut trouver sa place. Il est une figure de l’homme ordinaire, dont le meilleur ami est à ses yeux un héros, qui incarne tout ce dont il rêve : il est prospère, a confiance en lui, et surtout, est respecté de tous. Fly, quant à lui, se retrouve piégé dans un cercle vicieux qu’il n’arrive pas à briser : sa vie dans la mafia est vouée à l’échec, mais la quitter reviendrait à s’exposer à une vie de brimades et de tourments, à ne jamais connaître l’admiration de ses pairs qu’il désire désespérément. Enfin, en dernière lecture, Fly peut se faire l’ambassadeur d’une jeunesse en perte de repères, dont les angoisses (succès personnel et familial, place dans la société), ne sont pas limitées au système mafieux. Il le dit lui-même : rien n’est exclu, sauf reparaître devant sa mère les mains vides et sans argent.


Pour ce premier film, l’on discerne déjà les caractéristiques de ce qui constituera la "patte" de Wong Kar-Wai, qui expérimente et esquisse son style définitif. On peut noter, par exemple, une utilisation presqu’abusive du ralenti, une forte importance accordée au choix des musiques (en particulier occidentales, avec une reprise de « Take my breath away »), un son accordé à la composition des plans, et une emphase sur la place de la nourriture (récurrence des dîners, repas et restaurants), qui marqueront toujours ses œuvre futures.


Cette première réalisation est l’occasion pour Wong Kar-Wai de poser les bases de son cinéma. S’il n’atteint ici ni la maîtrise technique et artistique d’œuvres telles que « In the Mood for Love » ou « 2046 », l’on distingue déjà les grandes thématiques qui caractériseront son cinéma. Il est aussi l’un des premiers à donner un rôle d’importance à Andy Lau – excellent dans le film – qui s’imposera ensuite comme une figure incontournable du paysage cinématographique hongkongais. Enfin, en-deçà de ces considérations de portée ou d’influence, « As Tears Go By », pris séparément, constitue tout simplement une histoire intéressante, divertissante et bien jouée dans un cadre original.

Créée

le 28 sept. 2015

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Aramis

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