Enfin une adaptation de jeu vidéo qui respecte son matériau de base

Assassin's Creed a d'ores et déjà marqué l'histoire du jeu vidéo, ça ne fait aucun doute. Personnellement, je n'ai pas encore pu m'essayer aux deux derniers épisodes en date (Unity et Syndicate), mais je reste un grand fan de la franchise. Présentant des personnages toujours plus travaillés, des environnements toujours plus inspirés, aussi bien au niveau visuel que du level design, un propos sur la liberté traité de manière de plus en plus subtile, et ce en plus de nous proposer des mondes ouverts ou semi-ouverts riches et cohérents, la saga mérite le succès qu'elle a rencontré depuis la sortie de son premier épisode. Un succès sur lequel Ubisoft a décidé de surfer en faisant adapter sa licence sur grand écran. Casting de luxe (Michael Fassbender, Marion Cottillard ou encore Jeremy Irons sont de la partie), budget imposant, tous les signaux sont au vert pour une adaptation réussie. Verdict ? C'est une adaptation TRÈS réussie.



Un profond respect pour le jeu



"Assassin's Creed ? C'est quoi ce truc ? Mettez trois pecnots à capuche qui font du kung-fu sur de la musique techno, les joueurs seront contents." Voilà ce qui aurait pu se passer quand le projet d'un film Assassin's Creed a atteint Hollywood. Heureusement, il n'en est rien.
Il faut dire qu'on avait de quoi être inquiet : de Mario Bros à Hitman, en passant par Street Fighter, Max Payne ou encore Prince of Persia, les adaptations de jeux au cinéma auxquelles on a été habitué jusqu'ici sont au mieux des films corrects, au pire des bouses immondes qu'on voudrait pouvoir effacer de notre mémoire.
Mais avec ce film, c'est différent. Plus qu'adapter le jeu en tant que tel, le film adapte aussi son propos, reprend sa problématique principale et la traite avec brio. Cette question, héritée du jeu et que je trouve très pertinente, est la suivante : doit-on sacrifier tout ou partie de nos libertés au nom de la paix et de la sécurité ? C'est autour de cette idée que va se construire le récit, ce qui témoigne d'un grand respect pour le matériau de base de la part de Justin Kurzel, le réalisateur. Plus largement, c'est la première fois que le médium vidéo-ludique dans son ensemble me parait être vu comme plus qu'un simple passe-temps pour adolescent boutonneux par le cinéma, preuve à la fois de la maturité atteinte par le jeu vidéo et de la compréhension de ses codes et de ses enjeux par une nouvelle génération de réalisateurs ayant grandi avec. C'est plaisant.



Des changements opérés pour les besoins du film



Passons vite sur ce qui peut fâcher les puristes : quelques changements, nécessaires, ont du être opérés pour rendre possible ce changement de medium. Le premier à nous jaillir à la figure est l'animus : simple table dans le jeu, servant de menu secondaire pour lancer la partie se déroulant dans le passé, il s'agit ici d'un énorme bras robotique, entouré d'une batterie de projecteurs. Plus visuel, cet animus correspond mieux aux besoins du film de monter quelque chose d'impressionnant au spectateur.
Ensuite, le rapport passé/présent est inversé par rapport au jeu. Les séquences nous montrant Aguilar, l'assassin espagnol du XVe siècle, sont minoritaires par rapport à celles nous montrant Callum Lynch, son descendant du XXIe siècle. Surprenant pour un habitué des jeux, ce choix finira par apparaître comme logique au fur et à mesure que le film avance.
Enfin, les fragments d'Eden, éléments centraux des jeux, sont ici réduits à une seule pomme d'Eden. Il semblait en effet compliqué de faire rentrer dans un film de 2h les éléments nécessaires à la compréhension de tout ce bordel. Peut-être les éventuelles suites rajouteront-elles le reste.



Beau, intelligent, passionnant



Le film suit donc Callum Lynch. Son père, membre de la confrérie des assassins, a tué sa mère lorsqu'il était enfant. 30 ans plus tard, on le retrouve dans une prison, condamné à mort. C'était sans compter sur la fondation Abstergo, qui en profite pour le récupérer et essayer de lui extraire des souvenirs de ses ancêtres grâce à une machine nommée Animus. En effet, Callum est le descendant direct d'un assassin espagnol du XVe siècle, dernier détenteur connu d'un artefact appelé pomme d'Eden. Absergo, dissimulant en réalité l'ordre des templiers, ennemis des assassins depuis des siècles, compte utiliser cette pomme aux pouvoirs extraordinaires pour prendre le contrôle du monde en éliminant la notion de libre arbitre. Selon eux, cela aura pour effet de débuter une période de paix sans précédent pour l'humanité.
Le scénario est donc très proche de celui développé dans les jeux. Certes, Abstergo se retrouve délocalisée en Espagne, certes les personnages ne sont pas tout à fait les mêmes, mais l'essentiel est bien là. Plus même, car le film prend le temps de s'attarder un peu sur les templiers. On apprend alors qu'ils on déjà un contrôle quasi total sur le monde, acquis grâce à la société de consommation. Placés à des endroits stratégiques, les templiers voient tout, prévoient tout et manipulent tout. La pomme serait alors l'aboutissement de cette démarche, leur donnant les pleins pouvoirs définitifs sur le contrôle de nos vies. Une situation bien résumée par une seule phrase, prononcée par l'une des dirigeantes des templiers : "les gens ne se soucient plus que de leur niveau de vie, des notions comme celle de la liberté ont disparu depuis de nombreuses années".
Au départ complètement perdu face à toutes ces révélations, Callum va devenir le pivot de ce conflit entre assassins et templiers. Au départ neutre, étranger à leurs querelles, il va devoir choisir quel côté lui semble le plus juste, à qui il va devoir livrer la pomme. Le film va se concentrer sur ses sentiments, ses doutes, jusqu'à son choix final amenant directement au climax. C'est pour cette raison que le récit est plus centré sur Callum que sur Aguilar, pour servir son propos. En cela, ce choix est le bon. Plus qu'un simple blockbuster sans âme, gavé au numérique comme on en voit passer des dizaines, Assassin's Creed est un film intelligent et passionnant. Certes, ce n'est pas non plus ultra philosophique et lourd de sens à chaque instant, mais c'est loin d'être idiot, il y a un vrai fond.
L'autre bon point est la partie technique. Les images de synthèse sont très utilisées, mais bien utilisées. Que ce soit la partie chez Abstergo ou celle dans l'Espagne du XVe, le film est magnifique. Peut-être un peu sombre, si l'on veut vraiment chipoter. Ajoutez à cela quelques idées de mise en scène bien senties lors des phases impliquant les assassins, quelques jolis clins d’œil au jeu, sans verser dans le fan service, et une adaptation intelligente du saut de la foi - aucun tas de foin n'est maltraité dans ce film - et on obtient un métrage très efficace dans tout ce qu'il entreprend, haletant, sans temps mort et très agréable à suivre. Les 2h passent vite.



Quelques défauts tout de même



La copie n'est cependant pas synchronisée à 100%. On retrouve de ci, de là quelques défauts pas trop gênants, mais bien présents. Déjà, si le discours n'est pas bas de plafond, les dialogues ne sont pas toujours du même niveau. On relèvera notamment le personnage de Marion Cotillard, chercheuse voulant "guérir la violence". Il y avait sans doute une manière plus subtile de le formuler.
Ensuite, certains personnages passent trop vite. Difficile notamment de comprendre qui est qui dans la baston finale, tant certains des assassins y apparaissant n'ont été visibles qu'une seule fois auparavant.
Enfin, même si ce point est plus "théorique", je ne suis pas sûr qu'un néophyte à l'univers d'Assassin's Creed comprenne tout ce qui lui est montré. Moi qui connait les jeux, je n'ai jamais été perdu, mais certains concepts comme ceux du saut de la fois ou de la lame secrète auraient mérité une présentation plus explicite. Sur ce point cependant je ne suis sûr de rien, toutes les personnes ayant vu le film avec moi connaissant un minimum les jeux.



La conclusion



C'était très attendu, et c'était très bien. C'est personnellement comme ça que je voudrait voir traitées toutes les licences de jeu vidéo au cinéma : avec intelligence et respect. Ce n'est certes pas parfait, mais ça fonctionne très bien. Pendant que les fans de la licence apprécieront une adaptation très fidèle, les néophytes découvriront un divertissement de qualité, loin d'être idiot et bien ficelé. L'année 2016 se termine plutôt bien.

Delfre56
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le 22 déc. 2016

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