Tourné quand le genre du polliziotesco était à l'agonie, on peut donc considérer cet opus comme le chant du cygne, le dernier baroud d'honneur de tout un pan de la série B italienne des années 70. Ce qui m'a délicieusement étonné et conquis, c'est le rythme du film. Du début à la fin, on nous sert de l'action, de l'action et encore de l'action ! Et pas des moindres, le cinéaste Mario Caiano fait preuve d'un véritable savoir faire et d'une maitrise technique imparable aux vues des conditions de tournage. Tourné en quelques jours seulement, écrit pour sûr dans les mêmes délais, l'intrigue est famélique mais fonctionne rudement bien car elle fait appel à l'efficacité pure. Le sujet s'articule autour de très nombreuses scènes de cascades automobiles endiablées, de gunfights étonnamment inspirés et de morceaux de violence bien crapuleux. Néanmoins, la précipitation dans laquelle ce film fut écrite donne naissance à un scénario qui s'essouffle dans sa deuxième partie, les personnages ne sont pas assez développés, notamment celui de l'agent spécial/chauffeur de taxi et la relation qu'il entretient avec l'équipe du personnage principal par exemple... Il n'empêche que je n'ai pas boudé mon plaisir devant cette perle. C'est l'essence même du genre que l'on retrouve ici dans ce que l'on peut considérer comme un film somme qui emprunte moult raccourcis pour aller droit au but, une oeuvre qui fait le bilan, la synthèse d'un genre qui a disparu avec la fin des seventies.


C'est une pépite de série B et il faut la prendre comme telle. Ainsi, on y voit un chauffeur de taxi rentrer chez sa petite amie, une française qui l'accueille dans le plus simple appareil alors qu'elle est au téléphone avec son amant ou un client, voire les deux. Puis on comprend que ce n'est pas du tout sa chérie, nous venons juste d'assister à l'entrée d'un chauffeur chez une cliente à qui cela ne gêne nullement de lui ouvrir sa lourde à poil. Ce sera le moment sexy du film, idéalement situé à la quasi entame du long-métrage. La scène d'action qui ouvre le long-métrage comme un amuse bouche, tiendra sa promesse d'un déferlement d'énergie et de violence pour tout le reste du film. Ce ne sera malheureusement pas le cas rayon charnel avec cette bien étrange séquence qui se confond en gratuité et fait seulement office "d'attrape-nigaud", car il n'y aura aucun autre moment semblable de tout le reste de la pelloche.


Autre moment lunaire : tandis que se déroule sous nos yeux satisfaits la meilleure course poursuite du film (réellement, sans aucun sarcasme), la séquence est cochonnée par un énôôôrme faux raccord. Le champ est ensoleillé tandis que le contre champs est tourné sous la pluie. Cependant, vu le budget alloué, nous comprenons aisément les raisons d'une telle scorie. Et puis cette maladresse nous rappelle à notre bon souvenir : c'est du cinéma bis !


Mais c'est une série B qui ne fonctionne pas seulement grâce ou à cause de ses défauts, loin s'en faut. Mario Caiano m'a étonnamment régalé dans sa manière de dilater le temps pour appuyer le climat de violence sévissant pesamment, entre autres, dans certaines de ses séquences de braquages. Sur le plateau, le cinéaste filme par exemple le canardage d'un flic en plan large puis en serré. Au montage, Caiano commence par le large puis il passe sur le serré en le mettant au ralenti, afin que les impacts de balles se dessinent bien, que le sang puisse gicler de manière spectaculaire, puis il repasse sur le large, en vitesse normale, avec le corps de la victime qui s'effondre brutalement, ce qui renforce diablement bien la violence de ce passage de l'arme à gauche. Le cinéaste réutilisera ce procédé pour certaines cascades, lors de certains impacts entre plusieurs automobiles. Cependant, force est de constater que le metteur en scène ne maîtrise pas toujours cette dilatation du temps grâce au montage. Plusieurs actions de certaines séquences, sur quelques raccords, se retrouvent avec plusieurs images en trop en tête et en queue de plans qui se suivent sur une même action. Si cela fonctionne pour les bagarres ou les cascades par exemple, car le côté spectaculaire des coups ou des impacts s'en retrouve décuplé ; lorsque cette méthode s'avère seulement mise en place lorsqu'un personnage ouvre ou ferme une portière de voiture par exemple, cela confère malheureusement au film un rythme artificiel et un déséquilibre relativement désagréable.


Mais ce qui "gâche" réellement le long-métrage, c'est son final, avec l'exécution du "méchant" joué par le monolithique Henry Silva. Plus le "vilain" est "vilain", plus sa mort doit être violente afin qu'elle soit cathartique. Sur le papier, elle l'est, il finit sous un train, bon. Dans la mise en scène prévue par Caiano, elle ne l'est pas moins puisqu'il prévoit de le filmer mourant sous les rails, littéralement broyé. Cependant, sur l'écran, on ne voit pas la pourriture du film se faire écraser sous les roues d'un train durant de longues secondes et sur plusieurs plans mais un mannequin ridicule. Puisque le budget ne lui permettait pas de filmer une mort spectaculaire, pourquoi ne pas l'avoir mise en scène hors champs ? Et bien, il y a une raison à celà, et pas des moindres : Caiano est un cinéaste de série B italienne et ce cinéma ne recule devant aucune outrance et se montre toujours jusqu'au boutiste, avec ou sans argent.


Cette fin est malheureusement doublement ratée avec le meurtre en point d'orgue du petit enfant délinquant auquel le héro s'était attaché (mais pas nous). Le réalisateur ne désirait pas s'enticher de ce personnage mais le producteur a insisté. C'est un truc de producteur ça, coller un orphelin dans un film pour attendrir le public. Sauf que ce désamour de la part du cinéaste s'en ressent grandement et il a commis ici une faute rédhibitoire puisqu'il rate, in fine, le final de son film avec cette scène qui avait pour ambition d'être salement choquante. Cet assassinat n'arrive qu'à la toute dernière minute du film. Cela lui confère une atmosphère fataliste, désespérée, dans la pure tradition du polliziotesco.


Enfin, autre ficelle du genre, mettre en scène une grande ville italienne prise d'assaut par la violence quotidienne et insupportable est une règle à laquelle "Napoli Spara !" n'échappe point, d'où son titre. Savoir habilement et élégamment mettre en scène leur environnement, voila l'une des grandes qualités des meilleurs cinéastes italiens. Ici, Naples est divinement bien filmée. Caiano veille à ce que la ville soit l'un des personnages principaux du film. Les personnages n'occupent souvent -alors filmés en plan large- que la motié du cadre, apparaissant comme des points de fuite, comme ensevelis dans cette ville tentaculaire et dangereuse. De plus, le fait que cette histoire soit tournée dans les rues napolitaines, sans autorisation, à la sauvette, cela lui confère une atmosphère diablement authentique. Quelle peinture abjecte de cette ville alors plongée dans les fameuses années de plomb ! Les femmes enceintes se font frapper dans le ventre, on menace les enfants d'un couteau sous la gorge en pleine rue pour racketter leurs parents quand on n'emmène pas leurs mioches derrière des bosquets pour les violer. Quant aux braquages, ils pullulent, la police est dépassée et ne peut laisser place qu'à une justice d'auto défense civile et radicale si les flics ne dépassent pas la ligne jaune pour faire régner la loi.


Embarquer dans Napoli spara ! est un véritable rollercoaster, le dernier d'un parc désormais fermé dans lequel je me suis plongé avec plaisir. Une carte postale crapoteuse d'une ville noyée au coeur d'une époque terrible à laquelle le cinéma bis ne pouvait que rendre hommage.

ThibaultDecoster
7

Créée

le 4 oct. 2021

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