Bonne découverte que cette compilations de moyens métrages réalisés par Robert Enrico, un réalisateur dont je n'avais jamais entendu parler.
Parmi les trois films, le plus connu, "La Rivière du Hibou" a reçu successivement une Palme d'Or du court-métrage puis un Oscar du meilleur court-métrage de fiction, rien que çà. Il s'agit de l'adaptation de 3 nouvelles de l'écrivain Ambrose Bierce, dont les histoires se déroulent pendant la guerre civile américaine.
Filmés en noir et blanc, la réalisation est d'une qualité et d'un dynamisme remarquable. Les trois histoires prennent place dans de magnifiques sous-bois, intemporels et menaçants, parcourus par une rivière apaisante. On comprends rapidement que malgré la beauté des lieux, il s'agit malheureusement d'une zone de guerre ; on devine que, hors champs, de terribles batailles y ont lieu. Il s'agit d'un espace en suspend, un "no man's land" onirique, revendiqué par les deux camps fratricides qui s'y affrontent.

Dans le premier métrage, le fameux "La Rivière du Hibou", on vit la course poursuite effrénée d'un homme échappant à la peine capitale, remontant le cours d'une rivière puis courant à travers les bois pour échapper à ses assaillants, avec l'énergie du désespoir. L'empathie pour ce personnage terrifié est particulièrement bien amenée, la caméra très dynamique le suivant au plus près à chaque instant, jusqu'au terrible dénouement, que nous craignions depuis le début de la poursuite, et qui nous sortira brutalement de la fiction.

"Chickamauga" nous raconte l'histoire d'un enfant, naïf et cruel, qui part jouer dans les bois, une épée en bois à la main. Sortant d'une sieste, il se retrouve ensuite parmi les débris calcinés d'une bataille ayant eu lieu à proximité. Des hommes blessés ou mourant rampent dans les sous-bois, dans le silence le plus complet, pour venir échouer dans la rivière proche, comme dans un cauchemar infernal. Mais lui ne comprends pas, il s'imagine qu'il s'agit d'une sorte de jeu ; il voit le joueur de tambour agonisant comme une sorte de clown, il essaie de souffler dans le clairon pris sur un cadavre, il chevauche un homme à quatre pattes dans la boue... Lassé par ce nouveau terrain de jeu, il retourne chez lui, pour découvrir, interdit, la demeure familiale en feu, jonchée de cadavres.

Pour terminer, "L'Oiseau moqueur" nous rapproche d'un jeune soldat tenant une position, en pleine nuit, dans les fameux sous-bois, et qui, pris de panique, tire sur un soldat ennemi qui s'approchait discrètement. Le lendemain, il découvre qu'il est considéré comme un héros pour avoir révélé une attaque imminente, et est envoyé recevoir, on ne sait où, une médaille en récompense de sa bravoure. Mais pour lui, quelques chose ne tourne pas rond. Hanté par la mort du soldat ennemi, il s'assoupit pendant le trajet, déclenchant un long flashback de son enfance. On le voit avec son frère jumeau, jouant avec un oiseau capable de répéter les paroles humaines (un mainate sans doute), puis remontant une rivière à bord d'une barque. Des souvenirs plutôt heureux, interrompus par la mort de leur mère, puis leur séparation, chacun étant envoyé dans une famille d'accueil différente. En voyant le chariot transportant son frère s'éloigner au fur et à mesure s'installe une pointe d'inquiétude. Cette inquiétude prends fin, remplacé par de la tristesse, lorsque le dénouement prévisible de l'histoire vient nous réveiller définitivement.

Trois contes sur la guerre, intemporels, cruels et poignants, cauchemars vécus par tant de personne dans la réalité que cela en deviens vertigineux. Trois films réalisés en hommage aux soldats qui ont été contraints de tuer leurs frères, aux enfants qui ont vus leurs proches se faire massacrer, et aux innocents exécutes de manière arbitraire en ces périodes de guerre, ères ténébreuses où l'humanité s'échine à se supplicier stupidement pour des enjeux périssables.
peterKmad
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le 17 janv. 2012

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