Chirurgie d'un crime et facéties juridiques

"Le crime passionnel d'un lieutenant de l'armée fait la Une de la presse. Deux anciens avocats vont s'atteler à la défense du militaire."


Penzez-vous donc qu'Autopsie d'un meurtre pourrait-être une quête de la vérité ? J'y pensais, au début. Je pensais, en effet, qu'Anatomy of a murder allait faire partie de ces films théâtraux, mis en scène avec virtuosité avec une fin où la vérité éclate au grand jour sans possibilité de la révoquer.


A ma grande jouissance, Otto Preminger détruit toute cette idée dés les premières minutes. On ne parlera pas de quête de la vérité. On parlera surtout de bataille juridique, d'une bataille d'égo entre deux avocats de talents. D'une bataille, non pas pour la vérité, mais pour l'innocence d'un possible coupable. A l'image d'un 12 Angry men, l'intérêt n'est pas de savoir qui est coupable ou innocent, mais c'est de voir tout le processus qui en découle.


Je ne suis certainement pas le premier à le penser, mais ce film est l'exact miroir de 12 Angry Men sauf qu'ici on se retrouve dans la salle du tribunal et non dans cette petite pièce de délibération. D'ailleurs, si je ne m'abuse, Parnell, sur son fauteuil alors qu'il attend le verdict avec Biegler, rend une forme d'hommage à 12 Angry Men et à ces 12 hommes, dans une salle décidant du sort d'un homme.
Vous l'aurez compris, difficile de ne pas faire de lien entre ces deux monstres du cinéma américain.


Autopsie d'un meurtre se divise en trois partie : la première est la mise en place minutieuse de tous les éléments qui feront le procès. Biegler interprété magistralement par James Stewart. Dire que j'ai eu du mal avec James Stewart au départ...maintenant je comprend tout ce qui fait la grandeur de cet acteur. Sa prestation est d'une telle justesse !
Cette première partie d'une heure environ peut paraitre un peu longue (c'est ma moitié qui m'a souligné ce petit bémol) mais elle est nécessaire pour les 2 heures qui vont suivre. Car c'est une partie qui met en forme les personnages, qui met en lumière l'angle d'attaque de la défense, qui nous montre qui sont les Manion : Lee Remick (excellente) et Ben Gazzara (tout aussi excellent). En fait le casting est en tout point parfait (pas la peine donc d'en faire tout un pataquès). On comprend alors très bien que la vérité ne sera pas le but de toutes ces histoires simple au premier regard mais beaucoup plus tordue qu'il n'y parait. Tout cela n'est pas clair.


Ensuite arrive l'Himalaya du film : le procès. Filmé avec virtuosité par Preminger. Rien n'est laissé au hasard. La caméra est sans cesse placée de telle manière que l'on se retrouve parfois jurés, parfois témoins. Preminger signe ici le procès filmé avec le plus de minuties et de maniaqueries. Les avocats se livrent à une bataille olympique d'arguments, de sous-entendus ou encore de facéties. C'est le point culminant du film, James Stewart prend alors toute sa grandeur. A la fois, charismatique et drôle. C'est aussi la force du film ! Son potentiel humoristique ! Oui, on rit devant les facéties des deux avocats (surtout Biegler quand même).


En troisième partie, la défense appelle ses témoins, le film oscille alors entre victoire et défaite, mais Biegler à l'aide de Parnell achève Claude Dancer dans une confrontation fulgurante avec la fille de la "victime".
La vérité n'aura jamais été révélée, on ne sait pas qui a tué Barney Quill, on ne sait pas si ce même Barney avait violé Laura...on ne sait rien de plus qu'au début au final. Biegler aura juste réussi à monter de toute pièce une défense sur la présomption d'une "impulsion irrésistible".


Autopsie d'un meurtre n'est jamais enclin à venir titiller la vérité, personne ne la cherche d'ailleurs, personne ne veut vraiment la trouver, surtout pas le Lieutenant Manion. Une forme de satire du système judiciaire américain en montrant que la vérité peut être pervertie à la guise de chacun. Typiquement le genre de film qui reste dans les mémoires et qui "gagnent à chaque vision" comme le dit Les Echos.
2h40 d'un drame juridique grandiose et théâtrale. Une critique minutieuse et facétieuse de l'appareil juridique américain, interprété magnifiquement par un casting XXL. Écrit et réalisé avec virtuosité. Les dialogues sont d'une efficacité foudroyante, un comité de punchline !
Haletant, titillant votre tensiomètre, la partie de tennis argumentaire est remarquable, dénué de tout ce sérieux habituel : Autopsie d'un meurtre est un modèle.

Halifax

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