AVANT L'AURORE (13,8) (Nathan Nicholovitch, 2015, FRA, 105min) :


Depuis Phnom Penh, cette histoire abrupte sous la forme d'une vibrante chronique suit le destin d'un travesti proche de la cinquantaine, surnommé Mirinda, à travers ses activités dans les quartiers miséreux de la capitale cambodgienne.


Découvert dans la sélection ACID du Festival de Cannes 2012 avec l'audacieux road movie Casa Nostra, le réalisateur français revient dans la même section en 2015, pour livrer De l'ombre il y a renommé depuis Avant l'aurore, son deuxième long métrage nourrit par un court métrage No Boy (2013) illustrant ses nombreuses rencontres au Cambodge et son attachement viscéral à ce pays.


Comme par effraction, la première scène nous plonge directement dans la nuit, où petit à petit par petites touches de plus en plus distinctes, le spectateur découvre (une femme ou un homme ?) en train de pratiquer avec compétence une fellation à un homme juché au-dessus de lui en train de photographier l'acte. L'échange d'argent éclaire tout de suite la nature de la prestation. Nous venons de faire d'emblée connaissance avec Mirinda, travesti français au corps marqué par l'existence, une sorte d'Iggy Pop au visage émacié, grand et fragile à la fois, où sa longue chevelure, ses bijoux et son maquillage tentent de masquer le temps qui abîme son enveloppe corporelle aux veines saillantes où même sa dentition devient problématique. Mirinda survit ainsi dans un logement de fortune entre la location de son corps dans des clubs pour adultes, drogues en tous genres, fêtes et vie commune avec un amant encombrant qui ne cesse de dilapider les finances dans l'alcool quand il a fini de vendre ses nouilles par le biais d'une charrette ambulante.


De manière quasi documentaire la caméra explore en totale immersion ces quartiers de misères dépeint sans concession, au plus près des corps et des multiples méfaits qui grouillent dans une ville bruyante et poisseuse, emblématique des problématiques qui gangrènent le Cambodge d'aujourd'hui. À travers le parcours de Mirinda obsédé, par sa jeunesse qui s'enfuit un peu plus chaque jour, rêvant concrètement de se faire tirer le visage par un chirurgien esthétique pour se faire une peau neuve, la narration errante embrasse un portrait de cette ville complexe. Dans son sillon, le récit nous invite à rencontrer Judith une amie expatriée travaillant pour le Tribunal International de La Haye afin de retrouver un ancien bourreau Khmer rouge et par hasard une jeune fille muette, livrée à elle même, dont nous allons découvrir qu'elle propose aux touristes de faire "boom boom" avec elle pour 5 euros. Ces trois destins intimes esquissent un portrait chaotique du pays où les thématiques : fantômes des horreurs commises par le régime de Pol Pot dans les années 70 qui hantent encore de la région, la prostitution infantile, le tourisme sexuel, le trafic mafieux, la drogue, la violence envers la communauté LGBTQ et la question du lien parental. Mais malgré cette noirceur décrite avec un réalisme cru, le metteur en scène ne verse jamais dans le glauque et se sert de cette obscurité pour paradoxalement immerger son film de lueurs positives.


La narration s'avère parfois fragile comme pour mieux illustrer la trajectoire des deux principaux protagonistes Mirinda (ébranlé par un événement tragique) et Panna la petite adolescente de 12 ans, qui vont apprendre à s'apprivoiser sous l'acuité des cadres où les jeux de lumières viennent briser l'obscure des âmes. Du chaos naît la lumière. Le romanesque de cette rencontre improbable apporte du souffle au récit et permet à ces deux êtres vacillant de se remettre à avancer debout, pour s'aventurer ensemble dans un monde où le bruit s'éloigne, les mots se font plus rares laissant ainsi place par petites touches à un lien invisible, attachant, inéluctable entre les deux cabossés de la vie. Cet âpre long métrage brutalement doux, compose le récit avec le spectateur, où les errements par le biais d'ellipses narratives embrassent aussi bien le présent que le passé, et le réalisateur avec bienveillance capte ainsi les vibrations et les sentiments rédempteurs de ses personnages et d'un pays tout entier. Un attachant conte très ancré dans le réel qui nous révèle au grand jour le troublant David D'Ingeo, dont sont corps transpose les maux intérieurs avec puissance et grâce à mesure que son corps quitte la rue pour d'autres paysages plus sereins et l'autre révélation avec Panna Nat, jeune lumineuse actrice non professionnelle, dont la subtilité de jeu est assez remarquable de pudeur en émotions contenues.


Venez accompagner Mirinda à travers cette subtile odyssée de la nuit vers le beau, habitée par les fantômes du passé au sein du sensible Avant l'aurore. Un film coup de poing. Dérangeant. Humain. Exigeant. Vivant.

seb2046
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le 21 sept. 2018

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