Babylon, c’est l’histoire du cinéma. Ou plutôt l’histoire de la mort du cinéma. Immersion dans l’âge d’or des studios hollywoodiens, à ce moment de transition entre le cinéma muet et le cinéma parlant, une époque mystérieuse sur le déclin.
Si le titre n’apparait à l’écran qu’après une vingtaine de minutes d’exposition, c’est parce que le grandiose de la scène qui se joue ne peut être interrompu. Entre envie de grandeur et désordre volontaire, les premières minutes imposent le tempo. Les situations sont déjantées, le rythme énergisant, de quoi rappeler l’effervescence de Baz Luhrmann. Le ton est donné. Le projet ? Dynamiter le cinéma, un regard explosif jusqu’au trash, une violence quasi scorsésienne. Les années folles s’achèveront en une apothéose épileptique, un bouquet final grandiose, décadent comme cette époque, de délires et de vacarmes.
Chazelle retrace alors l’histoire tragique du cinéma : sous le vernis du glamour et des paillettes, la descente aux enfers de toutes ses professions. Une star montante ne vit que quelques années de gloire avant de s’éteindre prématurément, une énième vedette meurt avec sa carrière, un self-made man surfe sur le succès du cinéma parlant... tous investissent ce milieu de tous les possibles, pour mieux déchanter face à ses artifices, ses excès, ses illusions. De scènes jubilatoires en étalages des vices les plus monstrueux, le réalisateur explore les milieux interlopes, toilettes, égouts, une plongée dans les profondeurs, dans les coulisses inavouables des grandes productions américaines. Alors, le montage est presque orgasmique, poussant simultanément le rythme de la succession des plans et l’intensité de la musique jusqu’à leur paroxysme, pour les faire cesser subitement. Une parfaite maîtrise de la frustration.
Le jeu de caméra est emporté par un rythme d’enfer. La trompette est à Babylon ce que la batterie est à Whiplash : gros plan sur les cuivres, cette fois encore le jazz est à l’honneur. Chazelle est passé maître dans l’art de sublimer la musique. Et la musique a bien profité de ces années de révolution cinématographique, de même que la danse, une magie du mouvement qui fait de cette pellicule un film d’anthologie. On note les plans séquences magnifiques : la frénétique scène de danse menée par une Margot Robbie envoûtante, l’incursion sur le plateau de tournage qui navigue entre scènes tournées et secrets de backstage, le travelling avant dans le couloir de l’hôtel qui s’introduit dans la chambre par la porte entrouverte…
Enfin il y a le climax du film. Scène finale : l’ancien producteur en pleurs devant le parapluie de Gene Kelly. Le parlant a supplanté le muet, mais le cinéma est-il vraiment mort ? Du Magicien d’Oz à Avatar, un florilège de scènes cultes se succèdent et avec elles, autant de nouveaux âges du cinéma. Les larmes du producteur, c’est la nostalgie d’une époque révolue, le deuil d'un âge du cinéma, mais aussi l’espoir de l’avènement de nouvelles formes. Après tout, les grands moments de cinéma ne naissent-ils pas des contextes les plus inattendus ? Travelling arrière sur une salle bondée, des enfants, des personnes âgées, ceux qui mangent, ceux qui dorment, le baiser d’un premier rendez-vous. Qu’importe, il y aura du cinéma tant qu’il y aura du public.
Un film ambitieux de 3 heures boudé au profit de blockbusters 3D qui n'ont rien à lui envier. Une déclaration d’amour au cinéma comme on en voit rarement, magnifiée par la grâce de ses acteurs et par une synergie entre les talents de ses auteurs. Musiques, décors, costumes, lumières, montages : « It’s bigger than you ».