L'ego de Chazelle ne poserait pas problème s'il n'était pas si lacunaire en génie. C'est la nuance avec la lacune en talent, il peut faire bien, même très bien - comme le prouve la première heure de ce film - mais arrive un moment où il ne comprend pas ce qu'il fait, où il ne comprend même pas ce que signifie les lignes de son scénario, donc forcément, on assiste bien souvent à une fierté mal placée.
Le film semble bridé par ce que tout le monde, y compris Chazelle lui-même, peut attendre d'un film qui s'appelle "Babylon", cette boursouflure éreintante, chef d’œuvre évident qui vous mange, et qui doit donc multiplier les sujets, les décors, doit déployer une folie sans cesse renouvelable, et cela va de sois, être un solide parpaing de trois heures et quelques, comme l'étaient (et le sont toujours en un sens) les mastodontes filmiques d'alors. Sauf que, mon climax émotionnel, je l'ai au bout d'une heure, car Brad Pitt, avec cet éclairage, et ce sens jamais retrouvé de transcendance par le cinéma, de sublimation, il n'est qu'à cet instant. Quand on voit ça et qu'on en sort tétanisé, forcément voir l'histoire suivre plus ou moins le cours d'eau qu'on lui devine aisément, simplement illustré via l'entrebâillement d'une porte, alors que tout est déjà joué, ça refroidit davantage. Le problème n'est pas qu'il ne fasse rien en deux heures, mais plutôt qu'il fasse tout en une, et que ces deux heures, si agréables soient elles (pas si simple mais disons le ainsi), si ouvragées soient elles, comment peut-on les considérer quand elles ne sont que la putréfaction née d'une splendide floraison ?
Intermission : ce film ajoute une pierre à la construction de l’œuvre sous-marine dont Brad Pitt est l'auteur depuis maintenant trente ans, le répertoire des rires stupides. En effet il offre une nouvelle itération de cet art dans lequel il excelle désormais, et dont il sera important de faire le bilan quand il aura pris sa retraite.
Je pressentais mal cette première séquence, qui se révèle finalement très réussi pour la simple raison que Chazelle parvient à résister à ce fruit et sait se tenir à distance, pour donner à ces images la gravité nécessaire, leur immobilité et leur arythmie. Un plan large où Margot Robbie commence à danser au milieu de gens appartenant déjà à ce monde témoigne d'une véritable intelligence puisqu'il permet de retranscrire simultanément la vacuité de cette fête, l'opacité dont elle fait preuve, et la stimulation que représente un plongeon dedans. C'est l'ivresse tout simplement, qui n'a qu'une beauté dans son partage. Mais cette mise en scène, il la reproduit à l'identique bien plus tard, quand il s'agit d'aller affronter un serpent en plein désert, entraînant pour tous car alors encore dans l'excitation, mais soudainement c'est Brad Pitt Jack Conrad qui marque cette boussole verticale, et donc on a la même scène, avec la même conclusion, ni plus ni moins. Chazelle saborde son film en balançant toutes ses meilleures cartouches d'un coup, en partie gâchées par la suite, dont les minutes n'étant pas tristement anecdotiques se résument à une vingtaine, tout au plus. Parvenir à parler de si belle manière du cinéma comme moteur, comme unique lumière dans une folie noire quasi ininterrompue, et finir en faisant rejouer à Tobey Maguire déguisé en Joker des scènes d'Under the Silver Lake, c'est juste minable. Le seul plan de valeur de toute cette séquence c'est quand on a le noir complet en entrant dans le tunnel, pour dire à quel point il ferait mieux de lâcher ça.
Passé la première heure il n'y a qu'une poignée de scènes qui soient véritablement de valeur, et qui soient véritablement des scènes. La première prise de son, ok. La discussion entre Brad Pitt et l'éditrice, c'est que du texte, mais ok. Et les histoires du trompettiste - assez embarrassante tant Chazelle semble prêcher sa propre paroisse quand Syd dit "vos caméras ne filment pas du bon côté", quand c'est justement ce que filme Chazelle (les trompettes en gros plan) qui se situe du "bon côté" -, et pour aller plus loin, l'histoire entre Manny et Nellie, qu'est ce qu'il y a à prendre ? Leur amour qui devient sujet d'une caméra, on revient à la transcendance, et la disparition dans la nuit, pourquoi pas mais si c'est pour conclure véritablement avec une pauvre coupure presse en fin de film, à quoi bon ?
Avec ça on a un film parasité, dommage. Sauf que ça devient véritablement embarrassant quand il s'agit de faire une grande leçon, et de faire dire à son propre film ce qu'on aimerait que les autres en disent, "un grand geste terminal". Difficile de ne pas laisser échapper un rire crispé devant un final au montage aberrant, aléatoirement réalisé (la caméra qui passe en vue zénithal sur les spectateurs pour finalement revenir en plan moyen : ???), qui se contente d'une suite d'extraits qui ne dialoguent pas et ne sont qu'un balayage vraiment pas exhaustif d'une histoire du cinéma qu'il ne cesse de dire éternelle et sujette aux renouvellements, à la création sur les ruines et ainsi de suite, mais qui n'a jamais été aussi fade et morte que dans cette séquence, provoquant une émotion qui n'est que dans la tête de Chazelle, puisque le miroir déformant que représente alors le spectateur dans le film est bien le seul à être ému devant ce spectacle franchement pathétique.
S'il était revenu à la musique, il aurait vu qu'il suffit de cinquante secondes à son thème principal pour être habité par une mélancolie que son film n'atteindra jamais.