Voici donc mon premier Cristian Mungiu. Une interview relayée dans Courrier International m'aura décidé : Baccalauréat sera mon baptême du feu. Le film est sorti depuis plus d'un mois et, son origine roumaine ayant probablement découragé une grande partie du public, il n'est plus diffusé dans beaucoup de cinémas. Si je veux le voir, c'est l'une de mes dernières chances. Aussi, ce lundi soir, je m'installe dans la salle, probablement la plus petite qu'il m'ait été donné de voir : une cinquantaine de places tout au plus, dont les trois quarts sont occupés quand j'arrive. Je me trouve une place isolée, mais pas pour longtemps, puisqu'un garçon de mon âge vient s'installer à côté de moi. Pensant visiblement qu'on est devenus potes puisque j'ai retiré mon manteau pour lui laisser la place, il fera une multitude de petits commentaires tout au long du film, du genre "Oh, génial" ou "Wow, dégueu". Mais passons.


Baccalauréat est une histoire somme toute banale. Pour résumer, il s'agit de l'histoire de Roméo, la cinquantaine, dont la vie tourne autour de sa fille, Eliza. Roméo a tout prévu pour sa fille, et il a bien fait, puisque sa dévotion a permis à Eliza d'obtenir deux bourses pour étudier la psychologie dans des universités anglaises. Pour être définitivement acceptée, Eliza doit simplement passer son bac, une formalité. Mais voilà, un type qui passe par là ne trouve rien de mieux à faire que de l'agresser la veille de la première épreuve. La force d'un réalisateur résidant, à mes yeux, dans sa capacité à sublimer un synopsis banal, on peut tout de même s'attendre à ce que Mungiu, Palme d'Or 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, y parvienne. Mais, plutôt que de relever ce défi, le Roumain ajoute une multitude de petites intrigues : une liaison de plus en plus encombrante, de mystérieux jets de pierres contre une vitre ou un pare-brise, une mère dont la santé se dégrade, une crise conjugale empêtrée depuis longtemps, et un petit ami dont l'attitude dérange.


En multipliant les intrigues, Mungiu s'expose à un piège duquel il ne parviendra pas à sortir : aucune n'est réellement close à la fin du film. C'est au spectateur de deviner - ou de choisir - comment chacune se termine. Mungiu offre certes suffisamment d'éléments pour que chacun se fasse une idée, mais c'est à la fois décevant et frustrant d'en finir ainsi. D'autant que, au milieu de ces nombreuses intrigues, le réalisateur dresse également une portrait Ô combien critique de son pays. De Baccalauréat, le novice que je suis concernant la Roumanie tirera une chose : la corruption est partout. Si vous en doutez, Mungiu vous le fera comprendre. Et, si les trois premières fois ne suffisent pas, ne vous inquiétez pas : il va remettre ça toutes les cinq ou dix minutes, pour une critique qui tourne finalement à la caricature. Si l'on en croit Mungiu, c'est simple : tout en Roumanie est corruption. L'entrée dans telle école est dictée par un pot de vin. Pour obtenir une greffe du foie, mieux vaut connaître les bonnes personnes. Tricher au bac, c'est simple quand vous savez négocier ou quand vos professeurs pensent avant tout au taux de réussite de leur lycée. Ceux qui ont vécu trop longtemps sous l'ère Ceaucescu ont même besoin de distribuer les pots-de-vin pour se sentir en sécurité. Quant aux rares personnes qui tentent d'être honnêtes, on ne leur fera pas confiance, à l'image de ces deux inspecteurs qui apparaissent dans la deuxième moitié du film : suivre les règles, c'est louche. Et, sous-entendu, ce message : tout le monde participe à la corruption, tout en disant qu'elle fait du mal au pays. Un double-jeu tragi-comique. Tournant à l'obsession, cette mise en avant de la corruption en Roumanie ajoute en lourdeur au film, déjà plombé par ses multiples intrigues. Mungiu connaît bien la France, et les pays d'Europe les plus développés (comme le rappelle la liste des co-producteurs du film, parmi lesquels Vincent Maraval ou les frères Dardenne. Alors que la Roumanie fête, en 2017, les dix ans de son entrée dans l'Union européenne, le réalisateur regrette que cette adhésion n'ait pas mieux développé son pays. C'est probablement par amour pour la Roumanie qu'il le critique ainsi mais, finalement, c'en est presque nuisible pour le pays : les spectateurs occidentaux garderont cette image d'un pays en retard, qui ne fait pas les efforts nécessaires pour s'intégrer à l'Europe. La Roumanie est l'un des pays européens qui subissent le plus le racisme occidental, et Mungiu, avec Baccalauréat, participe à ce racisme, alors même que c'est tout le contraire que désire le réalisateur.


Pourtant, Baccalauréat a des qualités : sa réalisation, soignée, épurée, presque stricte ; ses acteurs, souvent excellents, à l'image d'Adrian Titieni ; l'humour subtil distillé par Mungiu tout au long du film, son regard teinté à la fois de tendresse et de noirceur sur ses compatriotes. Mais la multiplication des intrigues et la lourdeur du propos lui nuisent, pour le rendre difficilement accessible à un novice. Pour moi, Cristian Mungiu est peut-être passé à côté d'un grand film. C'est d'autant plus dommage que sa Palme d'Or rappelle qu'il en est sans aucun doute capable.

Kenan
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le 9 janv. 2017

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