La notion de fuite dans le deuil.

Louder than Bombs, sorti en 2015, est l'une de ces petites pépites qu'il est important de découvrir. Visuellement et musicalement époustouflant, le long-métrage se dénote également par un jeu d'acteur subtil et touchant. Personnellement, c'est après avoir vu le jeu de Devin Druid dans d'autres médias que mon intérêt s'est tourné vers ce film, et a renforcé ma conviction du talent de cet acteur. Mon autre surprise était également de redécouvrir la vision que j'avais de Jesse Eisenberg. Loin d'être mon acteur favori (peut-être à force de l'avoir vu à une époque sur toutes les têtes d'affiches ou parce que sa prestation d'un détestable Mark Zuckenberg dans The Social Network était si excellente que j'en ai gardé une certaine aversion après coup ?), je constate depuis quelques temps qu'il se retrouve ici et là dans plusieurs excellents films indépendants, permettant de découvrir d'autres facettes de son jeu. Sans oublier la présence incroyable d'Isabelle Huppert (qui brille, par le scénario par son absence justement) et de Gabriel Byrne que je ne connaissais pas.


Que dire de ce film ? Car il y aurait beaucoup à dire et quand il s'agit d'un film qui compte à présent dans notre top personnel des films à voir, écrire une critique, aussi non-professionnelle soit-elle, sur Sens Critique, reste un exercice fastidieux, car on le veut parfait. Mais ce ne sera jamais aussi parfait que les émotions ressenties pendant et après visionnage de ce long-métrage. Donc, je ne vais parler ici que d'une notion, un détail, un élément, celle de la fuite, qui transparait continuellement dans ce long-métrage. Simple interprétation théorique de ma part, mais dont, lorsque j'en ai pris réalisation, ai constaté que cet élément de narration transparaissait dans chacune des attitudes des personnages de ce film. A noter que dans cette analyse, je fais référence à de nombreux points du film, révélant ainsi des points-clés de l'intrigue (sans entrer dans les détails).


Petit rappel sur le scénario : Trois ans après la mort d'Isabelle Reed dans un accident de voiture, un père et son fils ainé tentent d'expliquer au cadet que la mort de sa mère n'était pas accidentelle, mais désirée.


Jonas, le fils ainé, Conrad le fils cadet, Gene le père, et Isabelle la mère. Chacun exerce une fuite qui lui est propre, intimement liée à celle d'origine, celle d'Isabelle. Dépeinte comme déprimée, Isabelle, photographe de guerre, ne se sent plus à sa place nul part. Ni dans son travail, qu'elle cherche à fuir pour retrouver sa famille, ni dans sa famille, qu'elle cherche à fuir dans son travail. Au final, ce sera dans la mort que sa fuite s'effectuera, laissant derrière elle une famille déjà morcelée et bouleversée par cette violente décision.


Jonas, le fils ainé, fuit la réalité par les apparences et les non-dits. Dès le début du film, rencontrant une ex, Jonas, père à l'instant, choisit de subir un quiproquo plutôt que de se confronter à une situation et conversation gênante. Tout au long du film, il se révèle que Jonas a fui les conflits familiaux pour se réfugier dans les études, a évité la conversation avec sa femme sur la véritable mort de sa mère, et ne choisit de rentrer auprès de sa famille que pour fuir la complexité nouvelle de sa paternité. A de nombreux instants du film, Jonas ne cesse de fuir dans les apparences, prétextant de dormir pour éviter une conversation réelle avec sa mère, fuyant une aventure d'un soir pour retourner se cacher dans le foyer familial, aventure qui lui avait à l'origine offert une fuite temporaire à ses obligations de père. Il révèle également sa conscience stratégique de la fuite, en conseillant finalement à Conrad de ne pas montrer à ses camarades qui il est vraiment, mais de patienter quelques années en faisant profil bas, en jouant de son apparence discrète.


Pour Conrad, sa fuite se fait dans l'imaginaire, ou dans une forme de recroquevillement intérieur. Seul membre de la famille à ignorer la vérité sur la mort de sa mère, le garçon est entré dans un état d'immobilisme, dans un deuil irrésolu, coincé constamment dans un domicile familial avec son père qu'il s'efforce de fuir par le silence. Il finit par se créer un monde personnel et imaginaire à travers l'écriture ou les jeux vidéos, dont le seul véritable acteur est lui-même, explorant ou développant plusieurs persona, fasciné par le contrôle de son environnement, et toujours ombragé par le spectre de sa mère.


Enfin, Gene, le père, exerce une forme de fuite en avant constante, n'hésitant pas à camoufler son chagrin et sa peine en se confrontant à de nouvelles situations. Peu après la mort d'Isabelle, il s'en va en Egypte avec son fils, puis, de retour chez lui, s'engage dans une relation amoureuse avec l'une de ses collègues. Malheureusement, et comme le prouve sa vaine tentative de créer un compte dans un jeu vidéo pour espérer enfin se lier avec Conrad, Gene se veut maladroit, balourd dans ce désir d'aller de l'avant. Il blesse, heurte, bouscule sans le vouloir, cherchant à faire bien mais faisant trop, devenant étouffant, incapable au final de se confronter seul à l'univers de son fils cadet.


Au final, chacun fuyant dans sa direction, les trois hommes sont incapables de se réunir véritablement. Seul un élément perturbateur, celui de l'article révélant la vérité, écrit par un collègue d'Isabelle, le seul individu se refusant de fuir, oblige les protagonistes à cesser la leur. Frontale tout d'abord, pour Conrad, obligé d'admettre que sa vision fantasmée de sa mère n'a jamais réellement existé, lourdement rappelé à la réalité par des faits. Gene, lui, se retrouve dans une situation d'immobilisme forcée, suite à la brève disparition de son fils, obligé d'attendre que ce dernier ne décide de lui donner signe de vie. Enfin, ayant cessé de fuir, Gene et Conrad peuvent enfin se tourner vers Jonas, épuisé, pour lui apporter l'aide nécessaire à enfin cesser de fuir. Au final, c'est dans une fuite finale, mais réunie, que les trois hommes quittent le domicile familial pour se tourner vers un avenir d'avantage ponctué par l'espoir qu'un deuil, enfin résolu.

Gzaltan
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le 16 avr. 2024

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