Tu vois, personne ne va t'aider Bubby, car il n'y a personne là-haut pour le faire. Personne. Nous sommes tous des arrangements complexes d'atomes et des particules subatomiques, nous ne vivons pas. Mais nos atomes se déplacent de manière à nous donner une identité et une conscience. Nous ne mourrons pas ; nos atomes simplement se réorganisent. Il n'y a pas de Dieu. Il ne peut y avoir de Dieu ; il est ridicule de croire à un être supérieur. Un être inférieur, peut-être, parce que nous, nous qui n'existons même pas, nous organisons notre vie avec plus d'ordre et d'harmonie que Dieu ne l'a jamais fait pour la Terre. Nous mesurons, nous traçons, nous créons merveilleusement de nouvelles choses. Nous sommes les architectes de notre propre existence. Quel concept fou que de se prosterner devant un Dieu qui abat des millions d'enfants innocents, les affame lentement, atrocement jusqu'à la mort, les bat, les torture, les rejette. Quelle folie de même penser que nous ne devrions pas insulter un tel Dieu, maudit soit-il, qu'on l'oublie à jamais ! Il est de notre devoir de penser que Dieu est absent. Il est de notre devoir de l'insulter. Vas te faire enculer, Dieu ! Foudroie-moi si tu oses, toi le tyran, toi vulgaire mascarade ! Il est du devoir de tous les êtres humains de penser que Dieu est absent. Ensuite, nous aurons un avenir. Car alors, et seulement alors, nous prenons l'entière responsabilité de qui nous sommes. Et voilà ce que tu dois faire, Bubby : Rends Dieu absent ; prends la responsabilité de qui tu es.
La cruauté ordinaire au prisme du cinéma
Introduction :
Un immense merci à Chinaskibuk (membre de Senscritique), qui, après avoir passé quatre jours mémorables chez moi dans mon Sud-Ouest entre découvertes de la région, fous rires, pétanque, poker, débats enflammés sur le septième art et partages qui resteront gravés, m’a offert un cadeau aussi improbable que précieux avec le blu-ray du film Bad Boy Bubby. J’ai compris que c’était l’un de ses films de cœur, et rien que ça, c’est un honneur. Comme quoi, entre un barbecue et une réplique culte, on peut lier une belle complicité. Comme promis, j'ai regardé ce film avec la même intensité que celle qu’on a mise à refaire le monde pendant ces quatre jours ! Chinaskibuk, merci à toi.
Critique :
Rarement un film m’aura autant dérangé et fasciné que Bad Boy Bubby, réalisé par Rolf de Heer. Ce long-métrage australien nous entraîne dans l’existence sordide d’un homme enfermé depuis sa naissance dans un appartement étouffant sous l’emprise d’une mère abusive et d’un père longtemps absent puis soudainement présent. Le récit s’ouvre comme un huis clos glauque et hypnotique qui interroge la liberté, l’identité et la condition humaine à travers un personnage principal brisé par une maltraitance extrême. Incarné avec une intensité bouleversante par Nicholas Hope, Bubby n’est pas un homme comme les autres. C’est un enfant qui n’a jamais grandi. Cloîtré par sa mère dans un appartement crasseux, il ignore tout du monde extérieur, des codes sociaux et même de la notion de liberté. Sa vie est entièrement dictée par la peur et la manipulation. En tant que véritable geôlière, sa mère l’a maintenu dans un état d’ignorance absolue. Elle lui a répété que l’air extérieur était toxique et qu’il mourrait s’il franchissait la porte. Elle lui a imposé des rituels aussi cruels que sordides et l’a exploité sur le plan émotionnel, psychologique et physique, jusqu’à l’inceste routinier.
La maltraitance qu’il subit ne se limite pas au corps. Elle est totale, anéantissant son esprit et son identité. Bubby n’est plus qu’une coquille vide, réduit à un état quasi animal. On ressent un malaise constant, car on voit un être humain qui n’a jamais eu la moindre chance d’exister pleinement. En cela, le récit met en lumière la manière dont l’environnement façonne un individu. Bubby répète les mots de sa mère comme un automate, sans les comprendre, tel un perroquet enfermé dans sa cage. Sa voix, son corps, son imaginaire, tout lui a été confisqué. Il découvre même la mort et la cruauté en imitant naïvement ce que sa mère lui a imposé toute sa vie, comme s’il s’agissait d’une banalité. Une cruauté d’une innocence terrifiante qui le pousse à commettre le pire… ou peut-être le meilleur, après un événement brutal qui le libère enfin. C’est en franchissant la porte de son enfer domestique que le film prend une ampleur nouvelle. On se demande d’abord ce qu’il découvrira dehors et pourquoi ce masque à gaz qu’on lui a imposé. Est-ce une guerre nucléaire, une horde de zombies, un virus foudroyant ?
Finalement, rien de tout cela. Ce n’est que le monde réel, le nôtre. Une idée de génie qui va permettre au cinéaste de pouvoir jouer avec Bubby, qui apparaît alors clairement pour ce qu’il est, la victime de sa mère qui l'aura berné jusqu'au bout. Même si son comportement choque et déstabilise, il porte en permanence la marque de cette maltraitance originelle. Maintenant libérer du joug de sa mère, il peut explorer l’extérieur qui lui offre quelques douceurs mais aussi de la douleur. Le monde qu’il découvre si tard se révèle libératrice pour lui, mais aussi cruel que la prison qu’il vient de quitter. Humilié, moqué, traité comme une bête de foire, il continue de subir la violence des hommes. Pourtant, c’est sa capacité à assimiler, à observer et à répéter les comportements pour tracer sa route qui viennent nous tenir en haleine. Un moment de pureté dans un monde contaminé. La société le rejette comme adulte "normal", et il faut reconnaître que son comportement rend son intégration presque impossible. Mais c'est justement se qui fait qu'on s'accroche à ce personnage jusqu'au bout, nous demandant comment cela pourrait se terminer pour lui.
Malgré son atmosphère suffocante, Bad Boy Bubby ne se limite pas qu'à un récit sur la cruauté. C’est aussi une ode à la résilience. Peu à peu, Bubby découvre la tendresse, le rire, l’amour et surtout la musique. Sa rencontre avec des êtres capables de bienveillance, notamment une femme avec laquelle il partage une relation d’une rare sincérité. Elle lui ouvre une échappatoire. Des instants de grâce qui révèlent le véritable cœur du film, à savoir montrer que même les âmes les plus abîmées peuvent entrevoir la lumière au milieu de la noirceur. Rolf de Heer accentue la violence psychologique par une mise en scène d’une précision implacable. L’appartement délabré, imaginé par Tim Nicholls, nous enferme dans des cadrages serrés qui respirent la claustrophobie. Le son, tout autant que le silence, pèse sur l’atmosphère, tandis que les compositions de Graham Tardif apportent des respirations puissantes. La musique devient un souffle vital se présentant comme une échappée dans un univers saturé de brutalité. La photographie poisseuse de Ian Jones, servie par la direction artistique de Mark Abbott, renforce cette sensation d’étouffement. On se sent prisonnier aux côtés de Bubby, enfermé dans ce microcosme toxique. Le choix audacieux de confier la caméra à plusieurs chefs opérateurs enrichit encore cette immersion. Chaque plan traduit avec brio la confusion mentale de Bubby, son esprit éclaté contamine l’image elle-même.
Malgré tout, Bad Boy Bubby ne commet pas la bêtise de vouloir seulement choquer. Il nous pousse à réfléchir. Combien d’êtres humains, aujourd’hui encore, vivent dans des prisons invisibles faites d’enfermement, de maltraitance ou de manipulation psychologique ? Derrière l’extrême du récit, Rolf de Heer pointe une réalité bien concrète : celle de l’innocence brisée par les abus, celle d’une humanité mutilée par la cruauté. Mais la puissance du film ne réside pas uniquement dans son écriture ou sa réalisation. Elle éclate surtout à travers l’interprétation de Nicholas Hope. L’acteur s’approprie chaque plan, capturant l’œil du spectateur avec une intensité troublante. Lorsqu’il saisit un micro, il transforme ce simple objet en outil de libération. Il extériorise tout ce qui l’écrasait depuis toujours et donne enfin une forme visible à ce qui n’existait jusque-là que dans les recoins de sa conscience. Ce passage est d’une force rare, et reste l’un des grands moments de cinéma contemporain. Au final, le message ultime de Bad Boy Bubby est limpide. Les enfants ne sont pas condamnés à reproduire les blessures infligées par leurs parents. Mettre en mots sa douleur, la rendre tangible, peut ouvrir la voie à un avenir différent. Bad Boy Bubby se vit comme une thérapie. Un exutoire d’une intelligence exceptionnelle. Du grand cinéma, à la fois dérangeant et libérateur.
CONCLUSION :
Bad Boy Bubby est une œuvre-choc éprouvante à regarder mais impossible à effacer de la mémoire. À travers le calvaire d’un homme-enfant et son initiation douloureuse au monde réel, Rolf de Heer livre un film à la fois dérangeant et profondément empreint d’humanité. C’est une parabole implacable sur la condition humaine. On peut enfermer un corps et mutiler un esprit mais la soif de lumière finit toujours par se frayer un chemin, même au cœur des ténèbres les plus opaques.
Un grand film !
Pourquoi les chats n'ont pas de masques à gaz ? Ils n'en n'ont pas besoin : les chats ne respirent pas.