Bonjour à tous,


voilà un autre film qui mérite d'^être connu, ma foi. Ainsi que son réalisateur, que j' adore !!
Probablement le réalisateur espagnol le plus extrémiste et le plus déjanté de sa génération, ALEX DE LA IGLESIA puise ses inspirations, a la manière d’un KEN LOACH, dans les tares socio familiales (« le crime farpait » « mes chers voisins » « la chambre du fils »), la misère sociale (« 800 balles ») et les ravages des politiques publiques (« le jour de la bête » « perdida durango »). Avec BALADA TRISTE il explore les heures sombres de la guerre civile et les conséquences d’une société marquée au fer rouge du franquisme, avec un style moins naturaliste et moins radical que son homologue anglais, préférant la métaphore guerrière au choc brut et frontal.


Synopsis du film :
Dans l'enceinte d'un cirque, les singes crient sauvagement dans leur cage tandis qu'à l'extérieur, les hommes s'entretuent sur la piste d'un tout autre cirque : la guerre civile espagnole. Recruté de force par l'armée républicaine, le clown Auguste se retrouve, dans son costume de scène, au milieu d'une bataille où il finira par perpétrer un massacre à coup de machette au sein du camp national. Quelques années plus tard, sous la dictature de Franco, Javier, le fils du clown milicien, se trouve du travail en tant que clown triste dans un cirque où il va rencontrer un invraisemblable panel de personnages marginaux, comme l'homme canon, le dompteur d'éléphants, un couple en crise, dresseurs de chiens mais surtout un autre clown : un clown brutal, rongé par la haine et le désespoir, Sergio. Les deux clowns vont alors s'affronter sans limite pour l'amour d'une acrobate, la plus belle et la plus cruelle femme du cirque : Natalia.


Maintenant, passons aux choses sérieuses. Lorsque les lumières de la salle s'éteignent et que les premières images du film arrivent sur l'écran, l'on sait en l'espace de quelques secondes à quelle sauce on va être mangé. L'originalité du générique du début interloque. Rappelant les génériques des films de genre, une musique très appuyée défile sur des photographies historiques et des images rendant hommage aux meilleurs monstres du cinéma : Lon Chaney, Boris Karloff, légendaire Frankenstein et autres. Tout est dit : Balade Triste mêlera histoire et cinéma à la sauce De la Iglesia, violent, morbide, drôle parfois mais sublime.


Enorme film, et le meilleur à l'heure actuelle pour Alex de la Iglesia. La réussite du film tient à sa manière de nous dérouter constamment sans que cela ne soit agaçant. Les situations s'enchainent très vite mais le truc, c'est qu'on ne sait jamais où l'on va se retrouver transporté. Chaque idée folle est chassée par une autre et, cinématographiquement, cela suit, on passe d'un genre à l'autre avec bonheur et béatitude. Ainsi, une forte palette d'émotions est donnée au spectateur, qui atteint son paroxysme dans le dernier quart d'heure, très émouvant et magnifique de virtuosité. Horreur, humour, drame social, historique, amour, tout se bouscule avec vie et emphase. Un film fou pour ceux qui savent se laisser emporter, torrent de créativité qui, oui, transporte le spectateur. Très bon film, l'un des immanquables de l'année 2011.


L'histoire des deux clowns apparaît comme une métaphore évidente de la période franquiste. Sergio, ce clown adulé mais odieux lorsqu'il ne joue pas représente Franco. Comme Franco, c'est un dictateur qui décide qui doit rire et quand à ses blagues, qui se permet de frapper sa compagne Natalia et qui se croit tout permis pensant que personne ne peut se dresser face à lui. C'est lui qui décide de ce qui est drôle. Pourtant, personne dans le cirque n'ose le remettre en question. Personne ne s'oppose à sa violence destructrice qui a déjà fait fuir un clown triste auparavant et qui devrait faire fuir n'importe quelle femme, pour la simple et bonne raison qu'il fait bien son boulot, qu'il a du talent pour faire rire les enfants et que donc il fait vivre le cirque. Malgré les atrocités et le régime dur instauré par Franco, les images d'archives montrent que l'Espagne franquiste (1959-1972) connut une période d'essor économique. Et c'est là que la métaphore fonctionne parfaitement. Malgré un régime répressif, le régime instauré par Franco a réussi à apporter une richesse économique au pays. Sergio est dans le même cas. Odieux et ultra-violent, les membres du cirque le supportent afin de survivre et faire tourner le cirque, seul moyen pour eux de subsister.
Javier, le clown triste qui résiste à Sergio est alors d'abord érigé en véritable héros, ce qui lui vaut d'attirer Natalia, la trapéziste et la compagne de Sergio, parce qu'elle se sent en sécurité avec lui. L'on imagine que ce clown triste représente alors tous ces espagnols tristes qui luttent contre le régime oppressant de Franco.
La lutte entre les deux clowns peut donc être assimilée à la lutte entre Franco et son régime contre ceux qui lui résistent pour prendre le pouvoir du pays, et dans Balada Triste du cœur de Natalia.


Les multiples références à cette trouble période de l'histoire espagnole abondent dans ce sens. De La Iglesia parle d'histoire, de l'histoire d'un pays traumatisé par un passé qui le hante et qui n'a pas encore pansé toutes ses plaies mais n'utilise jamais un style classique pour le faire. Il le fait à sa manière. Pour cela, le réalisateur espagnol montre des images d'archives qui permettent de contextualiser. Ainsi, l'on voit des coupures de presse ou des extraits télévisés retraçant la cavale d'El Lute, un célèbre prisonnier espagnol qui s'échappa à de nombreuses reprises, mais aussi l'histoire politique espagnole. C'est ce que l'on voit dans la scène de l'attentat contre Carrero Blanco, président du gouvernement franquiste en 1973.


La gigantesque croix que l'on aperçoit à la fin du film est le lieu où Franco est enterré. Le fait que la bataille finale ait lieu à cet endroit renforce l'idée selon laquelle le film traite du franquisme et de ses fantômes. Dans cette scène, les trois protagonistes sont réunis : Natalia l'objet du désir, Sergio l'incarnation de Franco et Javier le résistant devenu fou. Alors qu'ils se battent entre eux, l'on comprend que l'enjeu est bien plus grand : il s'agit d'exorciser les démons du passé franquiste pour enfin commencer à vivre heureux.


Enfin, les références à la religion catholique (scène où Javier, devenu fou et fait prisonnier par le colonel franquiste qui a tué son père voit la Vierge le conseiller; scène finale qui se passe dans une église) ne sont pas anodines et rappellent que Franco avait établi le Catholicisme comme religion d'État.


Le film baigné dans la période franquiste traite forcément d'histoire. L'évolution du personnage de Javier permet de poser la question de la relation entre l'homme et l'Histoire. Le jeune Javier apparaît comme un enfant doux et fragile. Mais dès lors que son père lui demande de le venger, il élabore un stratagème afin de le faire libérer. Les choses tournent mal et un milicien tue son père. Pour se venger, Javier lui fait perdre un œil. Dès lors, Javier a déjà commencé à changer. Il a dû user de la violence pour se défendre et défendre son père. Lorsqu'il arrive au cirque, Javier est devenu un adulte timide, triste et peu sûr de lui. C'est sa passion pour Natalia qu'il croit martyrisée par son compagnon Sergio qui vont le faire changer. Prêt à tout, il ira même massacrer et défigurer à coups de trompette Sergio. Mais ce que Javier ignore c'est que Natalia, personnage ambigu, est sado-masochiste et se trouve stimulée par les coups. Ainsi, les deux fois où on la voit tuméfiée, on la voit aussi ensuite en plein rapport sexuel consenti et fougueux avec Sergio. D'ailleurs, une scène montre la différence de point de vue. Alors que Natalia est en plein rapport sexuel, et que son corps frappe la vitre, Javier recroquevillé au sol pense que Natalia est en train de prendre la raclée de sa vie. Comme nous l'avons remarqué plus haut, Sergio est une représentation de Franco, contre lequel Javier va se rebeller. Dans ce sens, l'on peut dire qu'en se rebellant contre Sergio et donc le franquisme, pour l'amour de Natalia et donc de l'Espagne, Javier va devenir fou, et va devenir dans sa chair le clown triste. L'on voit donc comment les évènements historiques ont fait de Javier, qui a priori n'avait rien pour devenir fou, dangereux et violent, ce clown triste morbide. Le passé c'est aussi pour Javier l'absence d'enfance, ces temps troubles qui l'ont forcé à devenir un adulte trop tôt.


Bien que le film se passe durant les années franquistes, le film traite des fantômes du passé qui hante une nation toute entière. Les films espagnols tentant d'exorciser les fantômes du franquisme ont tendance à fleurir (L'Orphelinat de Juan Antonio Bayona, Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro, Les témoins du Mal d'Elio Quiroga...). Le réalisateur a d'ailleurs confirmé cette influence du passé sur le présent lors de la présentation du film à Venise : "C'est l'histoire d'un amour fou, sauvage, entre humour et horreur. Parce que nous souffrons d'un passé terriblement douloureux qui conditionne encore notre présent".


Enfin, le titre du film est tiré de la chanson du même nom Balada triste de trompeta, chantée par Raphaël. Dès les premières lignes, le passé surgit :, "une ballade triste pour un passé mort et qui pleure, comme moi..."


Mais, qu' est-ce qu' un monstre se demande le réalisateur.


Qu'est qu'un monstre ?


Le monstre humain (le freak) est une personne ayant une anomalie physique et rare qui déforme le corps. Ces personnes aussi appelées curiosités médicales étaient régulièrement exposées dans des foires ou des cirques. Quelques exemples : Joseph Merrick (Elephant man de David Lynch), Krao, Franck Lantini, Zip, Pascal Pinon.
L'on voit ici comment De la Iglesia aborde le sujet. Le réalisateur a placé ses personnages dans un cirque, un lieu idéal pour parler de monstruosité. Il arrive que des personnes deviennent difformes suite à des évènements. Dans le film, Javier déforme à coups de trompette le visage de Sergio. Le visage de Sergio est ensuite grossièrement recousu, rappelant le visage du monstre de Frankenstein.
Javier devenu fou se torture et devient jusque dans sa chair le clown triste. Ainsi, il se défigure le visage avec de l'acide, se brûle les joues et la bouche avec un fer à repasser, et se mutile.


Les personnages sont tous amoraux. La figure dominante est sans doute celle du clown maléfique (que l'on retrouve dans Ça de Tommy Lee Wallace, adapté du roman du même nom de Stephen King).
Le clown maléfique suscite la peur grâce au décalage entre son apparence joviale de clown et sa véritable personnalité fondée sur la méchanceté et le sadisme.
La fonction du clown est de faire rire les enfants et donc de répandre un peu de bonheur dans ce monde. Mais il y a plusieurs types de clown : le clown blanc et l'auguste.
Mais comme son père le lui a dit, Javier ne peut pas être un autre clown que le clown triste dont le rôle n'est pas de faire rire. Si son rôle n'est pas de faire rire, alors peut être que le rôle du clown triste est de répandre le malheur. Et c'est exactement ce que va faire Javier. Il va incarner le clown triste jusque dans sa chair et menacer, frapper et terrifier tout le monde.
C'est aussi là que la différence entre Sergio et Javier apparaît. Sergio qui a été défiguré est très déprimé parce qu'à cause de ses blessures, il ne parvient plus à faire rire les enfants. Bien qu'il ne soit pas un enfant de chœur et qu'il frappe sa compagne, il fait bien son métier et parvient à donner du bonheur aux enfants. Javier se défigure volontairement afin de faire le mal, malgré son aspect inoffensif. C'est pour cela que ni l'homme dans le cinéma, ni l'enfant dans le café n'ont peur de lui. Enfin, notons un autre élément remarqué par la femme dans le cinéma. Il n'est pas normal de voir quelqu'un déguisé en clown se promenant en ville. Ainsi, en choisissant de devenir pour toujours un clown, Javier se place volontairement comme un marginal, véhiculant la peur. En effet, beaucoup de personnes ont peur des clowns quand ils ne sont pas dans leur milieu naturel : le cirque. Et dans le film, Sergio et Javier commencent à devenir sérieusement inquiétants après la fin du cirque, suite à l'agression de Sergio.


Enfin, l'art, et ici l'art du cirque apparaît comme une bulle d'air dans ce pays tombé sous la dictature de Franco. En ces temps troubles, faire rire des enfants c'est tenter de préserver leur enfance, et donc leur innocence et peut être éviter qu'ils deviennent des monstres.


Tous les personnages de Balada triste de trompeta sont marqués par la dualité. En chacun d'eux cohabitent le Bien et le Mal. Quand le Bien et le Mal cohabitent dans le même être, ces deux forces ont tendance à s'affronter et parfois même jusqu'à la mort.


Un style unique et décalé


Une bande son soignée
Un des thèmes composés par Roque Banos revient régulièrement dans le film. Il intervient principalement dans les scènes de poursuite et l'on peut entendre un son récurrent et ressemblant à des coups de fouet.
Une sublime version espagnole de Je l'aime à mourir de Francis Cabrel lui-même fait partie de la bande son de ce film. Sur cette musique, Javier devenu clown pour toujours, déambule dans les rues à la recherche de Natalia. Il l'aime à mourir, dans le sens propre du terme. Cette chanson prise au pied de la lettre peut alors annoncer la fin.
Enfin, la chanson de Raphaël Balada triste de trompeta rythme le film. Cette chanson apparaît comme une révélation pour Javier, qui semble se reconnaître dans cette chanson qui avait été utilisée pour le film Sin un adios de Vicente Escrivá de 1970, dans lequel Raphaël interprète un clown.


Une photographie sublime
Le film a été filmé en noir et blanc puis colorisé, ce qui donne un aspect un peu daté très charmant. Les tons foncés semblent être accentués et les couleurs ressortent particulièrement bien.


Le film a globalement l'aspect d'un film d'horreur de série B, ce qui ravira les fans du genre.
Notons également un dynamisme incroyable dans la mise en scène, qui ne permet aucun temps mort.


Humour
L'humour du film du réalisateur espagnol est noir, très noir, et les répliques sont souvent cinglantes.
Par exemple, comment ne pas résister à l'une des premières scènes du film qui montre le père de Javier, déguisé en clown avec une robe de femme, se battre et découper des hommes à la machette ?


Grand spectacle et exagération :
Souvent reproché au film, l'aspect grandiloquent peut déconcerter certains spectateurs. Mais comme tout est fou dans le film, l'exagération, voire l'outrance peuvent être très facilement acceptées.


Sur ce, portez vous bien. Je vous salue bien bas. Regardez ce film. Tcho. Et gloire à Alex de la Iglesia. J' adore ce réalisateur. @ +.

Créée

le 30 mars 2015

Critique lue 405 fois

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San  Bardamu

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