Qu’il est difficile de juger ce film. Il fait partie de ceux dont on a du mal à savoir si on a adoré ou pas après le visionnage (et même pendant ici il faut l’avouer). Ce qui est sûr c’est que « Ballad of a small player » est loin d’être mauvais. Et une chose est encore plus certaine, il a une qualité qui ne peut laisser personne indifférent : c’est incontestablement sa magnificence visuelle. Encore plus marquée que dans son immense « Conclave » l’an passé, l’allemand Edward Berger prouve que c’est un grand faiseur d’images et un esthète au goût prononcé pour les belles compositions visuelles. On pourra trouver cela superficiel et tape-à-l’œil (et ça l’est) mais c’est au service de quelque chose et non gratuit. Ce côté clinquant formel est délibéré et sied parfaitement à cette histoire de joueur invétéré rongé par l’addiction aux tables de jeu. Comme le film oscille souvent entre réalité avérée et réalité supposée et que la ville de Macao est très cinégénique, le cinéaste s’en donne à cœur joie. Il optimise à chaque plan toutes les potentialités offertes par la Las Vegas chinoise, entre néons agressifs, modernité des espaces et blingbling des casinos. On ne compte plus les idées de mise en scène et les plans sublimes pour une véritable démonstration de maestria visuelle.
Ensuite, un autre bon point est indéniable. Le grand Colin Farrell irradie de son jeu nuancé et extrême chaque grain de la pellicule. Pas aussi cartoonesque que la prestation d’un Johnny Depp dans « Las Vegas Parano » mais pas non plus aussi tragique que celle du quatuor en descente de « Requiem for a dream », il campe un joueur rongé par les dettes et obsédé par le gain ultime de manière totalement incandescente. Il fait certes beaucoup de mimiques mais qui correspondent complètement au point de non-retour atteint par un personnage aculé et au bord du gouffre. Sa descente aux enfers est crédible et son jeu extrême colle bien à la mise en scène stylisée de Berger pour un film qui sait se rendre magnétique et qui nous flatte la rétine tout du long.
En revanche, si l’histoire assez linéaire se suit sans trop de temps mort et avec intérêt, elle semble souvent glisser progressivement vers l’hallucination, le trip sensoriel mais sans jamais s’y livrer totalement. À ce titre, « Ballad of a small player » a un positionnement un peu hybride qui semble prendre le conditionnel comme ligne de conduite. Avec l’arrivée au sein du récit d’un personnage féminin qui semble le comprendre, le film opère une bascule dont on ne sait jamais si elle va vraiment dans l’irrationnel et l’onirisme ou si on voit effectivement la réalité. Le script laisse beaucoup de points de suspensions et laisse notre esprit interpréter les choses mais il manque de clés de compréhension. La relation entre le personnage principal et cette femme chinoise semble irréelle et peu crédible mais on ne sait pas si c’est volontaire ou non. Cela laisse le spectateur dans un entre-deux aussi intéressant que frustrant. Le film reste ainsi à la porte du chef-d’œuvre qu’il aurait pu/dû être.
Il reste cependant une certitude : l’addiction au jeu est ici bien dépeinte comme pouvait l’être celle au sexe de Michael Fassbender dans « Shame » ou celle aux drogues de Timothé Chalamet dans « A beautiful boy », de manière viscérale. Et Berger illustre le propos avec une couche de symbolisme presque surnaturelle qui ajoute une part d’originalité parfois maladroite et d’autres fois vraiment pertinente. En ce sens, la fin du film est particulièrement sujette à discussion de la plus belle des manières et l’aspect rédemption est bien amené. Cependant, une bonne partie du film se positionne sur la corde trop raide entre réalité et pure rêverie qui empêche d’adhérer totalement au projet et d’embrasser la proposition. Dans tous les cas, voilà une œuvre qui a de la gueule et, sans aucun doute, digne d’intérêt.
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