Ballerina
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Ballerina

Film de Len Wiseman (2025)

Avec Ballerina, l’univers de John Wick s’ouvre sans son tueur mythique mais avec une nouvelle figure tout aussi obsédée par la douleur : Eve Maccarro jouée par Ana de Armas. Formée par la Ruska Roma, la même organisation criminelle qui a élevé le Baba Yaga, elle cherche coûte que coûte à venger la mort de son père.

Le motif est ultra-classique : la vengeance, encore et toujours. Le scénario a néanmoins le mérite de traiter de façon convaincante son sujet et a la bonne idée d'inverser le parcours matriciel. En effet là où John Wick voulait fuir le sang, Eve veut y entrer. Elle choisit délibérément d’épouser cette vie, du moins c'est ce qu'elle affirme. Cette bascule, simple en apparence, donne au film sa tension et son sens. La violence n’est plus un fardeau mais une initiation.

Ana de Armas trouve ici un rôle d'action à sa mesure dans la lignée du personnage mémorable qu'elle incarnait dans Mourir peut attendre, avec une portée logiquement bien plus viscérale. Elle impressionne vraiment et fait jeu égal avec Keanu Reeves, que ça soit dans les scènes d’action à mains nues ou avec une arme à feu. Son style, plus félin et agile que son homologue masculin, exacerbe la grâce de la danseuse et la vulnérabilité de son corps. Chaque geste, chaque impact, chaque cicatrice devient crédible grâce à son jeu, à la fois physique et pudique. Eve apprend à tuer comme on apprend à danser : par l'échec, la patience et la maîtrise de sa relative faiblesse physique. Ce dernier caractère est d'ailleurs plutôt bien représenté à l'écran et l'actrice réussit à transmettre une dimension presque tragique à son personnage.

Le film doit une fois encore beaucoup à Chad Stahelski, ici producteur, dont la patte se ressent sur la lisibilité des séquences d'action, dans les cadres soignés et les couleurs criardes tranchées entre le bleu acier et le doré nocturne. De son côté Len Wiseman s'applique et respecte le cahier des charges sans âme véritable. On sent de toute évidence un film passé par plusieurs mains et cela a d'ailleurs été confirmé. Il est logique d'imaginer que Stahelski ait pu reprendre la main sur certaines séquences d’action plus abouties. Il y en a deux qui m'ont particulièrement marqué. Celle dans le magasin d'armes où Eve progresse en utilisant des grenades jusqu'à piéger un homme derrière une porte avant de le faire exploser et celle, encore plus impressionnante, du lance-flammes qui est juste orgasmique. L'actrice a tourné elle-même la scène en dépassant sa phobie du feu, une implication qui est à souligner. Dans ces moments, Ballerina retrouve le souffle des meilleures chorégraphies de la franchise : une brutalité millimétrée, presque musicale, où chaque coup semble peser son poids d’émotion. Wiseman ne trahit pas cet univers mais ne le transcende pas non plus. Il nous livre un spectacle carré où le travail des cascadeurs et la présence d’Ana de Armas viennent majoritairement insuffler du relief.

C’est par contre dans son dernier acte que Ballerina déploie enfin une vraie personnalité. Ce village alpin, plongé dans la neige et habité par une secte étrange, m'a beaucoup fait penser à Resident Evil 4. On retrouve ce même sentiment d’isolement, cette topographie resserrée et cette confrontation avec une communauté autarcique. C'est un espace où la pureté de la neige dissimule la violence des habitants. J'aime bien cette idée de démesure où l'ensemble du village, de la police à la cuisinière du restaurant en passant par les écoliers, semble être entrainée au combat. Un comique de situation assez absurde déjà exploité dans John Wick 3 et surtout John Wick 4 ( la séquence à Paris remplie d'assassins ). L’architecture pittoresque des lieux, le silence des villageois, leurs visages fermés et l’atmosphère quasi religieuse rappellent ce mélange de beauté et de menace qu’on ressentait en traversant le village espagnol du jeu de Capcom. De plus il y a pas mal d'idées visuelles intéressantes, comme l'observateur dans le clocher avec ses nombreuses longues-vues. Ce passage, magnifiquement photographié, donne au film un souffle gothique inattendu et presque mystique. Un vrai contraste avec le néon urbain du reste de la saga. Il faut citer également le personnage du Chancelier, interprété par Gabriel Byrne, qui fait figure d’autorité aussi fascinante qu’inexploitée. Son rôle semble taillé pour enrichir le lore du monde des assassins mais malheureusement rien n’est vraiment creusé. D'où vient sa secte et quelle autorité a t'elle dans un monde régi par les règles et la puissance de la Grande Table ? Est-ce une faction dissidente ou bien rivale ? C'est une contrainte certainement inévitable dans ces univers qui se construisent au fur et à mesure. Byrne, un acteur que j'apprécie beaucoup est clairement magnétique mais il n’a droit qu’à quelques apparitions qui laissent malgré tout entrevoir un vrai potentiel. Il semble vraiment être craint par la directrice de la Ruska Roma. Cette part de mystère entretient la fascination tout autant qu'elle trahit un certain flottement scénaristique.

Autour d’Eve gravitent plusieurs personnages secondaires comme celui de Norman Reedus ou de Catalina Sandino Moreno dont l'utilité scénaristique est malheureusement proche du néant. Quel gâchis ! Ce sont des ombres au service d’un univers qui n'arrive jamais à justifier leur existence alors qu'encore une fois le potentiel était là.

Fan service oblige Keanu Reeves apparaît brièvement sans toutefois voler la lumière. Son aura de figure presque surnaturelle et invincible reste intacte et la séquence, au ton tout de même assez sobre et mélancolique, peut être vu comme une bénédiction silencieuse où Wick vient reconnaître Eve comme son égale tragique. Ce moment, minimal mais chargé de sens, suffit à lier Ballerina à la mythologie de la saga.

L’œuvre n’atteint pas la rigueur conceptuelle d’un John Wick mais parvient à exister par ses scènes d'action maîtrisées, la performance physique de Ana de Armas et la beauté glaciale de son dernier acte. Sous la vigilance de Stahelski et la direction plus modeste de Wiseman, le film trouve sa force dans l'intensité physique et la tension visuelle, offrant une extension intéressante et convaincante de cet univers de violence et de légendes.

Zoumion
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le 16 oct. 2025

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