Barracuda
6.7
Barracuda

Film de Philippe Haïm (1997)

Le délire protège souvent des pires tourments, des reflets trop crus. Dans Barracuda, Jean Rochefort est un psychotique touchant ; un tortionnaire par hasard, par un mauvais concours de circonstances ; un homme d’âge mûr, traînant ses obsessions et sa tendre Violette, empoisonnant un jeune homme bientôt papa (Guillaume Canet).

C’est un OCNI à la française (comme Atomik Circus), un inclassable (il ne ressemble à rien) mais aussi un multigenre, tutoyant la farce psychologique, la comédie musicale, le thriller psychédélique. Le ton est raffiné et ironique, sérieux et intense ; l’essentiel se déroule dans l’appartement de Monsieur Clément, auprès de son univers. Nous sommes constamment chamboulés, hilares malgré le glauque de la situation, en extase au mépris de la menace éclatante, inquiets en dépit des dialogues sereins ou anecdotiques entre le preneur d’otage et son invité inconvenant.

Barracuda distille une réelle atmosphère de cauchemar. D’une part, il immisce dans l’euphorie d’une rupture avec le monde extérieur ; tout en prévenant de l’incapacité à revenir dans le réel ; la prise de conscience trop brutale, entraînerait la perte de cette joie, cet équilibre ; néanmoins Monsieur Clément perçoit, par flashs (les séquences de projection de la fin de la prise d’otage, particulièrement surréalistes), les effets de son retour au réel (ce qui ne fait qu’amplifier le cercle vicieux).

D’un autre côté, la situation de Luc, contraint de jouer et négocier, amène à une communion presque psychique, mais sans arrêt court-circuitée, avec son personnage, dont toute l’intériorité et les défenses sont mises à l’épreuve. Il y a pire que subir un bourreau hostile : c’est d’en avoir un hors-sol, illuminé et même épris de vous et de votre bien-être. Otages du délire avec Luc, nous en voyons l’horreur, ressentie concrètement par Canet et graduellement par le spectateur, sans qu’une forme d’allégresse matinée d’authenticité sordide ne s’estompe ; et en partageons ses charmes, perçus par nous et incorporant malgré lui Canet, même lorsqu’il est au plus bas.

Extrêmement inventif, subtil, original et passionné, Barracuda gagnerait à être plus connu… et pourrait peut-être réhabiliter Philippe Haim, auteur des Dalton et de Secret Défense, mais aussi de ce coup de génie. Génie dans les performances d’acteurs d’abord (Rochefort en tout cas), mais aussi au niveau de l’écriture et de la forme, avec ces décors fantasques, cet habillage sonore pétillant (mais effrayant), ces prises de vues audacieuses et ce climat incroyable, associant profondeur malade et esprit de synthèse limpide.

https://zogarok.wordpress.com/2015/03/20/barracuda/

Créée

le 20 mars 2015

Critique lue 1.2K fois

8 j'aime

1 commentaire

Zogarok

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

8
1

D'autres avis sur Barracuda

Barracuda
Boubakar
8

Condamné Astaire.

Film choc comme on en a peu vu en France, Barracuda préfigure l'irruption du cinéma de genre du début des années 2000 et ces jeunes réalisateurs qui voulaient à leur tour tout casser. C'est le...

le 4 oct. 2014

9 j'aime

Barracuda
chinaskibuk
9

Je suis content de vous connaitre, je m'appelle Luc...

Monsieur Clément (Jean Rochefort) vit seul et semble s'en accommoder, il est étrange et ne cherche pas le contact avec sa gardienne ou son voisinage. Aussi quand Luc (Guillaume Canet), futur papa...

le 10 nov. 2017

8 j'aime

8

Barracuda
Zogarok
9

Vices et vertus de l'enfermement

Le délire protège souvent des pires tourments, des reflets trop crus. Dans Barracuda, Jean Rochefort est un psychotique touchant ; un tortionnaire par hasard, par un mauvais concours de circonstances...

le 20 mars 2015

8 j'aime

1

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2