L'Histoire de Barry Lyndon est une fable tragique. Celle de Redmond Barry, un jeune fermier irlandais dont l'ascension irrésistible et la chute certaine nous sont contées par le talentueux Stanley Kubrick qui reprend par la même un certain nombre de ses thématiques fétiches.
Avec sa volonté de perfectionnisme habituelle le réalisateur nous livre d'abord un film d'une rare beauté. Le spectateur pourra ainsi apprécier la belle nature irlandaise sous ses atours automnales, les jardins classiques du XVIIIe parfaitement formalisés et les intérieurs des fastueux châteaux d'aristocrates européens,dans lesquels le traitement réservé à la lumière des bougies donne un ton très réaliste à l'ensemble. De même le soin apporté aux costumes est tout à fait remarquable ; des habits du simple fermier irlandais ou du domestique aux uniformes militaires en passant par la sophistication à outrance des parements des riches femmes de la noblesse, tout est parfaitement pensé. Rarement on aura été autant immergé dans ce "beau" XVIIIe siècle.
C'est au sein de ce monde hostile mais d'une beauté certaine que va évoluer Redmond Barry. Un jeune fermier irlandais sans le sou dont la vie va être bousculée par l'histoire amoureuse qu'il entretient avec sa cousine. S'engageant d'abord en tant que soldat, il va être le témoin de toute l'absurdité de la guerre, et, bien vite, vouloir déserter. Son destin va l'amener à être au service, en tant qu'espion, d'un haut dignitaire prussien puis assistant et ami d'un joueur de carte irlandais pour enfin devenir Barry Lyndon, mari de la riche comtesse de Lyndon. Cette ascension nous montre l'évolution subtile, mais sensible, d'un personnage d'abord quelque peu naïf qui va devoir se conformer au monde dans lequel il vit, malgré sa nature profonde. Ainsi, son amour authentique, sa fougue, son courage et sa ténacité du début vont être recyclés par les obligations économiques, la hiérarchie militaire, les convenances hypocrites et décadentes de l’aristocratie. Toute la première partie du film, on assiste ainsi au dressage de Barry dont la transformation est complète au début de la deuxième. Celui qui tient le bâton n'est plus le capitaine prussien, Potzdorf, le punissant pour sa désertion, mais bien lui même brutalisant son beau-fils qui lui a manqué de respect.
Tel le fard blanc qui cache le visage des aristocrates derrière une pureté de façade, Barry camoufle son humanité derrière un masque qu'il s'est peu à peu constitué. L'humanité authentique de Barry Lyndon ne reste plus perceptible que par l'intermédiaire de son jeune fils auquel il voue un amour aveugle. Sa mort prématurée sera des raisons de sa lourde chute. Cette dernière nous est présentée comme étant quelque chose d'inéluctable. Telle une punition divine, toutes les fautes que Barry a commises vont retomber sur lui, refermant ainsi le destin d'un homme brisé qui a voulu jouer à un jeu auquel il ne pouvait que perdre. La musique de Franz Schubert accompagnant magnifiquement cette descente aux enfers irrémédiable dont le narrateur nous conte le cheminement progressif et tragique. Ainsi certaines scènes ressemblent à des tableaux illustrant chacun un épisode de la vie de Barry, qui sont comme des étapes ou des chapitres vers son destin tout tracé.
On reconnait ainsi dans ce film l'un des thèmes chères à Kubrick où la nature profonde d'un homme est pervertie par une société tentant de le cadenasser, de le contrôler. Ainsi tel Alex dans Orange Mécanique, Barry Lyndon est un personnage pris dans un rail qu'il ne peut quitter sans dérailler. C'est là tout le génie de Kubrick parvenant avec subtilité à peindre les facettes sombres des sociétés à partir de ses personnages torturés. Barry Lyndon est donc, dans la lignée d'autres de ses films, une magnifique et intelligente fable dont la morale est sans appel.