Pourquoi le flic est-il toujours alcoolique, violent et misogyne ?

La réputation de Basic Instinct le précède de très loin. Si on salue l'audace de la fameuse scène du croisé/décroisé dans le pudique paysage sexuel du cinéma américain, dix secondes de vulve à l'écran ne suffisent pas à faire un film. Que reste-t-il de l'oeuvre mythique de Paul Verhoeven lorsqu'on la dépouille de ses atouts sulfureux ?


A vrai dire, pas grand chose. Les sources d'inspiration du réalisateur sont évidentes et honorables (la blonde ambivalente hitchockienne et tout particulièrement celle de Vertigo, le film noir des années 50) et on apprécie le clin d'oeil au film d'horreur avec la scène de Hellraiser II en fond à la télé. La bande son est excellente. Les acteurs tiennent la route. La prise de vue est réussie. En dehors de ça, on ne peut que déplorer la vacuité d'un thriller pseudo érotique qui ne fait qu'essayer d'assouvir sans subtilité les fantasmes masculins les plus salaces, les plus ennuyeux et les plus dérangeants.


Par où commencer ? La nudité féminine est utilisée à outrance sans grand intérêt, tandis que les scènes de sexe insérées à tout va toutes les quinze minutes environ et la répétition ad nauseam de l'orgasme féminin menaçant (va-t-elle le tuer ? Ou va-t-elle simplement jouir ?) finissent par lasser et perdre de leur piquant. Le personnage de Sharon Stone (incandescente à l'écran), qui aurait pu être brillant d'ambiguïté et de profondeur, est affligeant tant il ne semble écrit que pour satisfaire la libido d'un homme hétérosexuel célibataire depuis très longtemps. On regrette que Catherine Tramell ne soit, ne respire et ne vive que pour le sexe et que sa position de femme alpha méprisante des hommes ("Did you really think it was so special ?" demande-t-elle, moqueuse, à un Michael Douglas tout dégoulinant de fanfaronnade après leur première nuit, tout en maniant le pic à glace phallique bien mieux que les personnages masculins eux -mêmes) ne soit pas explorée avec plus de subtilité. On regrette qu'elle ne soit, au fond, que "the fuck of the century", une femme objet parmi d'autres, et que sa dangerosité soit éclipsée par, eh bien, le fait qu'elle soit nue presque tout le temps. Plus encore, on regrette le portrait affligeant et homophobe qui est fait de ses relations lesbiennes (sexe du soir au matin ! Partie à trois ! Voyeurisme !) et qui semble tout droit sortie d'un site pornographique.


Face à elle, le personnage archétypal de la psy brune sulfureuse de Jeanne Tripplehorn est tout aussi désespérant dans un autre genre, et la violence qu'il subit du début jusqu'à la fin du film n'est pas non plus sans interpeller sur les penchants sexuels du scénariste et du réalisateur. Cantonnée au rôle de l'amante malheureuse, désespérément amoureuse mais jamais aimée par le méchant, méchant détective sans coeur, elle est avant tout victime à l'écran de nombreux abus dérangeants ; ces derniers vont de l'explosion verbale au viol (conjugal) en bonne et due forme, maquillé une fois de plus en simple scène de sexe osée ("You weren't making love", reproche-t-elle à son amant en essayant tant bien que mal de renouer les lambeaux de la chemise qu'il a arrachée) et ne servant à rien si ce n'est à illustrer la voracité sexuelle du héros et la misogynie hollywoodienne.


Le personnage de Michael Douglas, quant à lui, ne peut que tomber dans le cliché outrancier tant il se donne du mal pour correspondre parfaitement à l'archétype du flic véreux. Amateur de la gâchette, check. Bavures policières, check. Alcoolisme et addiction à la drogue, check. Grands gestes violents et explosions de rage, check. Mépris pour les femmes (au point que même sa première épouse s'est suicidée !) qui sont avant toute chose des objets de désir, check. Sa pseudo libido non conventionnelle est tellement forcée qu'elle en devient gênante (qui peut vraiment regarder la scène de la boîte du nuit sans éclater de rire ?). Si on ne peut réécrire les codes du genre, on peut cependant détester Nick Curran pour son arrogance, ses mauvais penchants et sa misogynie à peine masquée. On peut tout à fait se désoler que le cinéma américain contribue à faire de ces anti-héros des figures mythiques de l'Homme, le vrai.


Si l'on ajoute à tout cela une intrigue bancale, des personnages secondaires sans saveur (mais pourquoi n'en apprend-on pas plus sur Hazel Dobkins, la mère tueuse ?) et une fin un poil expédiée, il est évident que Basic Instinct parvient à peine à séduire, lui qui déploie pourtant des efforts titanesques pour provoquer une érection. C'est fort dommage, car le film s'inscrit dans une lignée honorable et avait tout les atouts pour proposer une fable réellement subversive sur le sexe et la psychopathie.

LenaHaque
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le 4 juin 2020

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Lena Haque

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