La comparaison entre les premiers films de Verhoeven dans sa période néerlandaise et Basic Instinct est intéressante sur plus d’un point. Sa carrière américaine est alors déjà bien lancée, mais dans le registre du blockbuster, genre dans lequel il a insufflé, avec Robocop ou Total Recall, une patte d’auteur tout à fait savoureuse.


Le thriller érotique qu’incarne Basic Instinct est donc à la fois une nouveauté et une sorte de retour aux sources, dans la mesure où la sexualité occupe une place importante dans sa filmographie. On retrouve par exemple son attachement à des femmes fortes, au motif du miroir au plafond et à des personnages en prises aux passions excessives…


Mais c’est bien sous le glacis d’Hollywood que vont se déchainer ces élans. Porté par le thème musical entêtant et lancinant de Jerry Goldsmith, le film joue clairement dans la cour des Hitchcock, et surtout de son fidèle disciple, Brian de Palma, avec lequel de nombreux échos se tissent : le voyeurisme, le thème du double (entre la blonde et la brune, les Ferrari blanche et noire, mais aussi entre la blonde et le flic qui se retrouve interrogé à la même place qu'elle et lui vole ses répliques), les architectures retorses et la destruction des repères établis, notamment par des emprunts à la peinture de David Hockney. Comme souvent chez Verhoeven, la caméra insidieuse suit les personnages avec grâce pour ne pas les lâcher, et instaure un ballet vénéneux entre la victime et sa proie, ou travaille au cordeau un champ/contre champ dans la fameuse scène de l’interrogatoire qui ne limite pas son seul intérêt au décroisement des jambes de la sulfureuse Sharon Stone.


Tout ne fonctionne pas pour autant. Le scénario est assez grossier dans sa progression, et surtout, la volonté appuyée de jouer sur le souffre fait du film un cabotin qu’on n’a pas vraiment envie de prendre au sérieux. Baisers lesbiens, scènes simili sado-maso, et surtout chute du personnage qui, en 24 h, passe de la sobriété à la déchéance la plus ostentatoire ont tout des ressorts les plus grossiers. Michael Douglas passe son temps à écarquiller les yeux pour faire comprendre qu’il comprend qu’on le manipule mais ne peut y résister, sa prestation se rapprochant dangereusement de celles que peut infliger Nicolas Cage. De la même manière, les insistances sur les liens entre l’écriture du polar et le rapport aux gens sont plus qu’appuyées, et la façon dont les cadavres se multiplient tend à faire involontairement virer le film vers la farce.


Finalement, on retiendra de ce film ces fragments qui ont fait sa gloire : l’explosion de son interprète, quelques scènes emblématiques…et le fait que j’avais réussi, à l’époque, à rentrer dans la salle en bravant l’interdiction du film aux moins de 16 ans.


(6.5/10)
http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Paul_Verhoeven/1018027


(*Titre suggéré facétieusement par le roi du calembour, l'ami Gothic. Hommage lui soit rendu.)

Sergent_Pepper
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le 20 sept. 2015

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Sergent_Pepper

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