Réalisation v scénario : l’aube d’un nouvel univers


Retour sur un film à part



Pour la première fois, la rivalité notoire des deux super-héros emblématiques de la Distinguée Concurrence est montrée au cinéma. Plus qu’une suite de « man of steel », « batman v superman : l’aube de la justice » se veut une introduction à la future Justice League, l’équivalent DC comics des avengers de Marvel. Contrairement à la Maison des Idées qui avait planifié ses histoires des années en avance avec un film pour chaque héros, DC a choisi de les introduire quasiment en une fois, un pari qui n’est pas sans risque...
Comme tout blockbuster du XXI siècle qui se respecte, le film avait eu le droit à une forte promotion, avec de multiples bands-annonces pour donner l’eau à la bouche aux spectateurs des mois à l’avance. Pourtant au grès des premiers retours, ce sont plutôt des avis mitigés qui ressortent. Il faut dire que « batman v superman » est un film à part dans la catégorie super-héros. S’il existe bien plusieurs défauts, ce ne sont pas ceux dont on a l’habitude d’incriminer cette catégorie de film, et il présente une approche et une originalité indéniables, mais aussi des failles difficilement excusables. Ni réussite ni raté, « batman v superman » frôle les sommets mais reste bancale dans ses frondaisons.



Différences avec Marvel



C’est une évidence maintenant pour moi mais visiblement pas pour tout le monde (« bande de noobs » « dégage Deadpool, c’est pas ton film là ! », « ok je reviendrais pour Captain america, c’est encore une histoire d’affrontement de toutes façons » « non plus laisse nous en paix » « X-men the Apocalypse alors ? » « (soupir) »), Batman, Superman et consorts ne sont pas produit par Marvel, mais par DC comics. C’est une différence fondamentale entre les deux maisons d’éditions rivales, les super héros de Marvel sont faillibles et plus tourmentés, avec des préoccupations plus proches de nous (ceci est moins évident dans les films toutefois), tandis que les super-héros DC sont des figures quasi-divines, des dieux marchant sur Terre, surpuissants et pratiquement invulnérables. Certes, Batman est une exception criante, torturé jusqu’au plus profond de son âme, mais il fait lui aussi figure de représentation symbolique : protecteur de Gotham malgré elle, incarnation vivante de la peur, un masque plus qu’un homme. Et c’est cette dimension de symbole qu’explore profondément le film.
Une puissance qui les rend plus délicat à adapter au cinéma. Si Batman et dans une moindre mesure Superman sont bien connus du public, des héros comme Wonder woman, Flash (encore qu’il réussit bien en série) et surtout Aquaman sont des projets plus audacieux, d’autant que le dernier est un illustre inconnu du public (en témoigne Green Lantern que l’on ne reverra pas de sitôt suite à l’échec du film…)



La symbolique autour de Batman et Superman



Orphelin sans patrie ni peuple, Superman est devenu un protecteur de la Terre. La rencontre de la Terre avec ce super homme venu de l’espace bouleverse l’humanité tout entière et soulève un tas de questions sociales et philosophiques. Ce n’est pas en effet pas un aspect auquel on pense souvent, mais l’arrivée du kryptonien suivi des autres représentants moins pacifiques de son peuple fut la première rencontre de l’humanité avec une autre forme de vie intelligence extraterrestre, avec tout ce qu’elle représente de merveilleux et d’espoir, mais aussi de menace inquiétante et de destruction.


Messie pour les uns, menace pour les autres, tout le monde se pose la question « comment réagir face à un être qui possède un si grand pouvoir, presque absolu ». Comme le dit l’adage, le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. Une partie de la population l’érige naturellement au rang de divinité, la voie de préférence de l’humanité pour réagir à ce qu’elle ne comprend pas. Cette réaction montre le besoin de l’homme d’avoir besoins de représentations symboliques auxquels adhérer, derrière lesquelles se ranger. Est-il vraiment un Dieu parmi les hommes, ou comme le craignent ses opposants, un être tout aussi faillible, auquel cas le détenteur d’une telle puissance pourrait causer beaucoup de dégâts s’il venait à emprunter une mauvaise voie. Car comme l’a dit un vieux sage rabougri, « La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine… mène à la souffrance ». Une peur, par exemple causée par son attachement à des humains, que vont tenter d’exploiter ses ennemis.
La peur, cette autre voie familière que l’homme arpente en pareils circonstances, avec la destruction de l’élément qui provoque la peur par les armes et la violence. « Même s’il existe une infime probabilité qu’il représente une menace, il doit être éliminé ». Des considérations légitimes sur la sécurité à des motivations plus obscures de mégalomanes qui refusent l’existence d’être à ce point plus puissants qu’eux, la présence sur Terre de Superman n’en finit pas d’alimenter les débats : doit-il rendre des comptes ? A qui ? On pourra regretter toutefois que la dimension internationale ne soit plus développée : si en effet il doit rendre des comptes, est-ce que cela doit être aux Etats-Unis, à la politique internationale de plus en plus décriée ?


Superman faisant fi de la gravité, volant cap au vent, dissimulant les rayons du soleil comme pour mieux projeter sa propre lumière ; Superman tractant un bateau échoué à la seule force de ses bras dans les contrées glacés, insensible à la morsure du froid, en fond de magnifique aurore boréale…. Superman le Sauveur et Protecteur de la Terre, figure messianique venu du ciel pour sauver les désespérés. Je ne connais peu Superman mais j’ai l’impression que Zack Snyder a su capter une part de l’essence du personnage. Loin d’un déballage indigeste d’effets spéciaux (excès dans lesquels était tombé « man of steel »), le réalisateur explore donc toute l’aspect symbolique autour de l’homme d’acier, et toutes les questions et controverses qu’il soulève au sein de la population.


Si Superman incarne la lumière et l’espoir de l’humanité, Batman est son opposé, sa face sombre, peu reluisante, ses peurs et sa violence. Ben Affleck (dont je ne comprends pas l’étonnement à l’annonce du casting tant décrié, on se croirait revenu 10 ans en arrière avec Daredevil, ce n’est pas comme si il n’avait pas prouvé son talent depuis…) incarne un Batman méconnaissable, hanté par la mort choquante de ses parents, violent envers les malfaiteurs qu’il condamne pratiquement à mort. Sans jouer dans la même catégorie que la version Nolan, la marque au fer rouge et l’utilisation d’armes à feu, inédits au cinéma à ma connaissance, rend cette version beaucoup plus inquiétante, à même de provoquer la peur même chez les victimes et chez les innocents. Snyder revisite la mythologie de l’homme chauve-souris par sa pâte graphique reconnaissable. Les scènes clés incontournables (l’assassinat de ses parents, la chute dans le puits) sont montrées de façon originales (flash-back, rêves) avec sa réalisation stylée typique. Par la technologie ou un entrainement intensif, Bruce fait son possible pour surpasser sa condition et s’élever au rang de ceux qui ont apporté le feu sur Terre.


Paradoxalement, si Batman est plus proche des hommes, il agit en marge de la loi, alors que Superman agit dans les projecteurs. L’un accuse l’autre de jouir d’une adulation non méritée, l’autre de bafouer les lois. L’expérience de Bruce lui a appris que les hommes bons étaient rares, et s’inquiète qu’une telle personne, plus homme que Dieu, puisse bénéficier d’un tel pouvoir. Témoin impuissant des scènes de destruction apocalyptiques survenu avec l’affrontement du kryptonien avec les siens, il fut marqué par ses scènes d’une ampleur sans précédent. Beaucoup reprochaient à juste titre à « man of steel » ces multiples scènes de destruction, sans qu’il ne soit réellement fait mention des colossales pertes humaines (reproche tout aussi valable pour d’autres blockbusters…), un reproche ici rattrapé donc. Pour Batman, la menace de Superman ne fait plus aucun doute. Mais plus qu’une inquiétude légitime, Batman est surtout animé de préoccupations nettement moins nobles, auquel se mêlent la vengeance et la colère, qui obscurcissent son jugement.
Lumière vs l’obscurité, l’espoir vs la peur, l’homme vs Dieu, plus qu’un affrontement titanesque, c’est avant tout une opposition symbolique et idéologique qui est à l’œuvre dans le film.


On ne peut donc pas reprocher à « batman v superman » et ses créateurs d’avoir perverti des personnages emblématiques dans un déluge d’actions lassants pour un seul objectif commercial. Le film n’est malheureusement pas bon pour autant…



Des défauts inexcusables



Car à trop se concentrer sur l’opposition symbolique, Snyder oublie les fondamentaux d’une histoire. Car même en étant intéressé tous ces aspects, j’ai trouvé le temps très long.
Si certaines scènes marquent le regard, la réalisation ne présente pas cet aspect envoutant qui pourrait permettre de passer 2h30 sans ennui. En conséquent, le rythme est lent, très lent. Un défaut pas forcément justifié ni compensé, et inexcusable pour un blockbuster…
A côté de ça, le style, certes recherché, pêche parfois par un côté pompeux, les scènes de combat de Batman apparaissent assez brouillonnes, les phrases qui cherchent à être profondes sont parfois pas très compréhensibles.
Henry Cavill campe un Superman un peu trop lisse, le personnage n’aidant pas, pour sa défense, à exprimer une grande palette d’émotions, l’acteur ayant été éclipsé par l’aspect symbolique de son personnage.
Doomsday, grand ennemi de Superman, est défait aussi rapidement qu’il est apparu. Et si sa force est colossale, son apparence n’aide pas à le prendre très au sérieux, sorte de croisement entre Hulk et Gollum…



Histoire confuse et incohérente



L’histoire, que l’on pourrait s’attendre à être développé en pareil cas, ne rattrape pas ces faiblesses. Il y a bien de mystérieuses malversations qui visent Superman, mais l’auteur se devine facilement, et il n’y a pas non plus d’enquêtes pour démêler les morceaux que l’on pourrait suivre à la façon d’un thriller. Ce qui n’est pas aidé par les motivations obscurs de l’ennemi juré de Superman, Lex Luthor, en vrai psychopathe maniaque. Tout aussi inexpliquée est la façon dont on apprend qu’il a appris le secret de Superman, voir carrément incohérent son utilisation facile de la technologie alien, comme s’il savait déjà avant de l’utiliser ce qui allait se passer… Personnage qui devient d’ailleurs vite agaçant, et bien loin d’égaler un vilain comme le Joker, bien qu’il faille sans doute plus chercher la cause du côté de l’orientation voulue du personnage que du jeu de l’acteur.
Le scénario pèche donc en bonne partie sur ces éléments obscurs voir incohérents. Comme dévoilé au début, le film se veut une introduction à la Justice League, et de ce fait cherche à introduire en un film tous les autres super héros. Malheureusement cette introduction est maladroite et mal amenée, et ces méta-humains, autre Dieux marchant sur Terre, semblent venir de on ne sait où, sans explications sur leur origine. Le pire étant Cyborg, sa transformation étant pour le moins impossible à comprendre… Les séquences d’apparition révèlent toutefois un potentiel intéressant pour la suite. L’un d’eux se dégage d’ailleurs clairement du lot : Wonder Woman, autre super héros iconique (1ier super héros féminin apparue en 1941). L’actrice affiche un fort caractère et un charisme agréable. Sa tenue d’amazone de l’antiquité rend bien et apparaît tout sauf kitch. De quoi intriguer pour son film solo (qui se passera bien avant leur rencontre). Elle n’est toutefois jamais nommée et son origine relève là-aussi du mystère complet…
Le film cherche également à disséminer des indices sur future menace à venir, notamment par une étrange scène onirique dont la signification est plus qu’alambiquée. On se souvient que « Sucker Punch », œuvre de Snyder, s’il contenait une complexité plus grande qu’il n’y paraissait, s’avérait également être trop cryptique… Si moi qui me renseigne sur les projets filmiques et avec une petite connaissance des comics j’arrive à deviner ou le film veut en venir, les néophytes risquent bien d’être confus…
Venons-en enfin au fameux combat tant attendu. La plupart d’entre nous qui attendions, d’après toute la promotion du film jusqu’à son titre, légitimement un combat de titan risquons d’en être pour leurs frais. L’affrontement est plutôt rapide et subit les mêmes travers que la plupart des scènes d’action, une action parfois brouillonne avec un certain excès de destruction murale.


Le pire étant que leur conflit (porté surtout par la haine de Batman) est vite résolu pour passer à autre chose, Batman faisant aussitôt volte-face pour s’allier avec celui qu’il voulait auparavant éliminer… un choix surprenant considérant que les germes du conflit ont été si longuement développées.


Des incohérences et des manques peu justifiables qui alourdissent inutilement un récit déjà en manque de péripéties. Entre phrases cryptiques et visions confuses, Zack Snyder semble décidément un bien meilleur réalisateur qu’un scénariste !


Au milieu de toutes ces critiques, reconnaissons toutefois que l’affrontement de la Trinité contre l’ennemi final rend parfaitement bien à l’écran (si on excepte une séquence romantique très malvenue…), et donne la pleine mesure ce de ce que peut donner un combat avec des héros du calibre de Superman et Wonder woman. Preuve que ces derniers peuvent malgré tout avoir leur place au cinéma.
Parlons également de la scène particulièrement forte où Batman est arrêté dans son geste contre Superman lorsqu'une coïncidence à propos de leurs deux vies est mentionné...


Pour finir, quelques mots sur la bande annonce. Si on peut lui reconnaître de ne pas trop en dévoiler et d’avoir gardé les éléments principaux de l’intrigue, on ne peut s’empêcher de s’apercevoir qu’elle est un peu mensongère. Certaines scènes intercalées lors du combat provenaient en fait d’autres moments. Sans parler de la séquence –pourtant forte- où Superman atterrit parmi des soldats qui s’agenouillent, qui a fait une signification bien différente. Un montage pas très honnête donc…



Bon ou mauvais ?



Avec l’éviction de Edward Wright pour « Ant man », le réalisateur de Deadpool qui n’avait pas eu la liberté requise, les grands studios sont souvent accusés de trop brider le cou aux créateurs, pour faire entrer les productions des films de super héros dans le moule pour plaire au plus grand nombre, empêchant la réalisation des films fidèles et artistiques qu’ils méritent. Avec ce film, on a pourtant l’exemple que laisser une liberté totale n’est pas toujours un gage de qualité (ou alors il faut savoir choisir ses réalisateurs, diront certains…). La direction artistique, la profondeur idéologique et philosophique sont des aspects positifs trop rares que l’on se réjouit de retrouver ici, mais il ne faut pas en oublier de préserver la base d’une histoire…


Fort succès la première semaine bien qu’accusant une nette chute par la suite (afflux massif à la sortie du à la forte promotion ou effet négatif du bouche à oreille ?), les entrées ont très largement satisfait le studio qui a confirmé ses futurs projets de films, et confié les rennes de la Justice League au même Zack Snyder… Je ne sais si on doit se réjouir ou non de cette nouvelle. D’un côté, nous aurons peut-être réponse à certaines questions avec l’assurance d’une histoire prévue à l’avance, de l’autre le film étant considéré comme un succès, il est peu probable que le réalisateur soit à l’écoute des critiques qui ont été formulés et reproduisent les mêmes défauts… Aurons-nous droit à des séquences sublimes de la Justice League œuvrant de concert, contre un ennemi aux motivations et à l’origine obscurs ?


Avec tous ces éléments, bons et mauvais, difficiles de juger de la qualité de ce « batman v superman ». Si à part quelques détails il n’y a peu à reprocher à la réalisation, sombre et stylée, parfait alternative à l’ambiance bon publique des films Marvel, l’histoire présente de graves faiblesses, entre incohérences et éléments obscurs. Le film est aussi victime du choix du studio d’en faire une introduction à un univers plus vaste, mais cet aspect n’explique pas tous ces défauts. La liberté qu’à donné la Warner a Zack Snyder a permis l’a réalisation d’un film de super héros unique, que dessert malheureusement un scénario maladroit. Malgré tout ce qu’on pourrait lui reprocher, le réalisateur a toutefois su convaincre le grand studio que les super héros DC pouvaient avoir leur place au cinéma. Des futurs films potentiellement intéressants, mais non sans crainte d’y retrouver les mêmes erreurs.

Enlak
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le 8 avr. 2016

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4

Que quelqu'un égorge David S. Goyer svp, pour le bien-être des futures adaptations DC Comics !

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