Suzu est une jeune collégienne très introvertie, marquée à vie par la mort de sa mère. Le jour où elle découvre U, un réseau social très immersif qui fait fureur au Japon, elle voit l'occasion de vivre enfin pleinement sa vie sous une identité virtuelle. Elle choisit de revêtir la peau de Belle, une chanteuse à la voix d'or, qui fascine plusieurs milliards de personne de par le monde. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu'à ce que Dragon, un monstre virtuel, débarque à son tour dans U pour y semer la pagaille. Mais dépassant la colère de millions d'utilisateurs, Suzu/Belle décide de partir en quête de cette créature virtuelle, derrière lequel elle sent un humain qui souffre...


Quel film déconcertant ! Difficile de savoir par où commencer quand on veut parler de Belle.
Pendant la première moitié, j'avoue, j'ai trouvé ça sympathique sans plus. Honnêtement, cette histoire de réseau social augmenté, une sorte de Meta avant l'heure, ça me passait un peu au-dessus de la tête, d'autant que Hosoda ne semblait pas spécialement adopter de regard critique sur ce qui reste à mes yeux une belle aberration (je ne suis déjà pas fan des réseaux sociaux en général, alors ce genre de réseau-là, sans moi, merci...).
Mais bon, comme on est chez Hosoda, on a aussi droit en parallèle à une très jolie description du Japon profond, ici par le prisme de l'école. A ce moment-là, on retrouve la magie des Enfants loups, c'est vraiment joli, naïf et surtout, c'est vrai. C'est clairement ces séquences dans le monde réel qui m'ont gardé un minimum dans le film. Parce que bon, leur monde virtuel, en plus de ne pas être très séduisant, il est quand même vraiment laid, visuellement. En termes d'animation, il y a de jolies prouesses, qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit, mais sur le plan visuel, c'est juste un amas de grandes barres qui ressemblent à des immeubles au milieu desquels il y a des points bleu et orange dans tous les sens, rien de très enchanteur. Si c'est ça qui donne envie aux gens de s'évader de la réalité, il faut m'expliquer...


Bref, c'est pas gagné.
Et puis Belle rencontre la Bête, elle cherche et finit pas trouver son château (toujours virtuel). Là, le décor devient un peu plus intéressant. C'est tout flou, tu sais pas pourquoi, mais ça dégage une certaine atmosphère... C'est ce à quoi ressemblerait la version Disney, une fois digérée par un estomac nippon. On aime ou pas, mais il y a quelque chose. Puis à la scène de la danse entre Belle et la Bête, la magie commence à opérer et Disney peut vraiment commencer à aller se rhabiller (spoiler : non, en vrai, la version Disney reste en tête). Une vraie bulle de légèreté dans un univers assez insipide, en tous cas un univers franchement pas fait pour moi.
Bon, très bien, je commence à reprendre espoir. Puis on redescend sur Terre, le monde virtuel perd à nouveau son charme et les scènes dans le monde réel me maintiennent un minimum éveillé, même quand elles sont lourdes (la rencontre entre Luka et Kamishin, pas un modèle de subtilité, mais boarf, c'est marrant, allez). La chasse à l'identité de la Bête prend de l'ampleur, peut-être qu'on va avoir un climax digne de ce nom, mais en même temps, j'ai le syndrôme Chihiro, cette bizarre impression que le film est allé trop loin sans moi et qu'il ira jusqu'au bout sans moi.


Et là... le miracle.
Je m'en doutais mais n'arrivais pas à l'admettre : j'ai bel et bien sous-estimé Hosoda. Et putain, qu'est-ce que ça fait plaisir. Non, on n'a pas un climax digne de ce nom. On en a trois. Minimum.
Au moment où l'identité de la Bête est révélée, bordel, le film part dans une spirale, tu peux plus lâcher, c'est juste indescriptible. T'es heureux et triste en même temps, t'es horrifié et fasciné à la fois, t'as envie de chialer de bonheur et d'horreur... Et puis tu chiales, mais tu sais toujours pas si c'est de bonheur ou d'horreur. Pendant de longues minutes, Hosoda te balance une claque dans la figure. Oh oui, il utilise internet et le virtuel, mais c'est pour te montrer une horreur bien réelle,
très humaine, et donc d'autant plus horrible. A partir de là, Belle prend un sens de plus en plus terrible et de plus en plus beau à la fois, qui culmine à mon avis dans cet échange tout en sobriété de SMS entre le père et la fille, où le père révèle à sa fille que


la mort de sa mère est sans doute la chose la plus terrible qui lui soit arrivé, mais peut-être aussi la plus importante, car en mourant, sa mère a fait à sa fille le plus bel héritage : celui d'ouvrir les yeux sur le monde et sur les gens, et de trouver dans la souffrance la plus intense la force de guérir les gens qui le veulent... Et merde, je vais recommencer à chialer.


Hosoda enchaîne séquence sur séquence où tout-à-coup, sans prévenir, il ouvre son film en deux, débarrasse tout son métrage de l'amas d'artifices qu'il avait accumulé dessus pour nous cacher ce qu'il avait à nous dire, et il nous dit tout. Soudainement, Belle devient simple, limpide, épuré. Un film qui n'utilise le virtuel que pour mieux nous montrer le réel. Et tu comprends où Hosoda voulait en venir. Et tu chiales. Parce que t'as pas d'autres manières de t'exprimer.
Coup sur coup, Hosoda nous ouvre l'âme de ses personnages, et il nous ouvre l'âme tout court. Oui, le virtuel a servi à quelque chose de beau et de puissant, mais pour guérir les blessures, il faut s'en débarrasser. Ça a été un instrument utile mais désormais superflu. Parce que tout le virtuel du monde ne remplacera jamais les échanges "en vrai". Oublie toutes ces conneries de "distanciel", de masques et de pass à la con, tous les réseaux sociaux du monde ne remplacement jamais une étreinte bien réelle. Cette étreinte que Hosoda nous fait contempler, sous la pluie de Tokyo. Une étreinte tellement fort que même la haine la plus puissante du monde ne peut la séparer, une étreinte si puissante qu'elle fait reculer la méchanceté la plus pure, une étreinte si belle que même la pluie de Tokyo ne peut masquer la lumière intense qui s'en dégage.
Bref, Hosoda nous apprend à voir.


Alors oui, Belle n'avait pas si bien commencé. Au début, c'était maladroit et timide. Mais Belle finit loin. Et finit bien. Belle finit dans une triple apothéose aussi discrète que ses artifices étaient bruyants et envahissants. Et c'est peut-être pour mieux faire ressentir la beauté si forte de son final si puissant que Hosoda nous a assourdi au début. C'est peut-être pour mieux admirer ce qui se passe quand t'as enlevé tout le superflu, qu'il fallait nous assener ledit superflu.
Donc bon, les réseaux sociaux, ça peut être très beau, et ça peut être hideux, merci pour la leçon. Mais ce n'est pas ça que nous dit Mamoru Hosoda. Oui, on se cache, sur les réseaux sociaux. Et c'est justement la manière dont s'y cache qui dit le plus de choses sur nous. Le déguisement est bien plus lourd de sens que ce qu'on voit. Parce qu'il nous mène précisément à ce qu'on ne voit pas.
Et peut-être que ce qu'Hosoda cherche à nous dire, c'est tout simplement cette leçon qu'Oscar Wilde nous délivrait déjà à travers la bouche de son ambivalent Lord Henry du Portrait de Dorian Gray :
"On dit parfois que la beauté n’est que superficielle, cela peut être, mais tout au moins elle est moins superficielle que la Pensée. Pour moi, la Beauté est la merveille des merveilles. Il n’y a que les gens bornés qui ne jugent pas sur l’apparence. Le vrai mystère du monde est le visible, non l’invisible…"

Tonto
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le 5 janv. 2022

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