A l'heure où la majorité des films américains inondant nos écrans de cinéma ont le droit à des budgets se chiffrant en millions de dollars, il y a quelques petits films indépendants fauchés qui de temps à autre se frayent un chemin et arrivent dans quelques rares salles de cinéma pour nous surprendre. C'est le cas de Bellflower, un film que l'on pourrait aisément qualifier d'artisanal et qui est dirigé par un illustre inconnu très polyvalent, Evan Glodell, qui est à la fois réalisateur, acteur, scénariste, monteur et producteur (rien que ça). Plusieurs cinéastes ont revêtu ses différents casquettes comme l'illustre Orson Welles... Ou le non moins illustre Ed Wood, sacré en 1980 comme étant le "pire réalisateur de l'Histoire". Alors dans tout ça où se situent Glodell et son premier long-métrage fabriqué avec deux bouts de ficelle?



Le budget de Bellflower s'est élevé à 17 000$. Une somme dérisoire dans le paysage cinématographique actuel, ça doit être le coup des dépenses en café sur le tournage d'un blockbuster. Force est de constater que le film s'en sort très bien avec ce peu de moyens pour nous offrir une expérience cinématographique étonnante. Le fait qu'il soit fait "à la main" lui donne un certain cachet à la base mais il fallait confirmer ça par d'autres qualités et celles-ci sont heureusement bien présentes.
On aurait pu s'attendre à un film héritier du célèbre Mad Max, il n'en est quasiment rien. Certes l'influence est là, certes les héros du film en sont des fans inconditionnels mais Bellflower conserve une idendité propre à lui. Le film nous raconte l'histoire de deux amis d'enfance fortement liés qui n'ont qu'un seul but en tête: créer des engins et fonder leur propre gang pour survivre à une éventuelle apocalypse. Des personnages assez barrés, fantasmant sur l'idée de vivre la situation qu'a vécu le héros de leur jeunesse.

Formellement le film est intéressant bien que légèrement tape-à-l'oeil à mon sens. C'est globalement bien mis en scène mais c'est une mise en scène très esthétisante, faisant la part belle aux effets de caméra et aux images trafiquées. On sent le bricolage de partout puisque Glodell a fabriqué lui-même quelques objectifs, ce qui donne lieu à des effets inédits originaux même si tous ne m'ont pas plus davantage que ça. L'ensemble s'avère tout de même assez réussi.
On sent surtout une grande forme de liberté dans ce film. Glodell n'a pas à se préoccuper de producteurs véreux et de rendre son film grand public. Il sait qu'il ne fera pas un carton, il reste maître de son oeuvre du début à la fin. Ce caractère jusqu'au-boutiste est appréciable, on sent un mec fidèle à sa ligne de conduite et en cela Bellflower est un film ambitieux, personnel et il ne pouvait qu'attirer ma considération.



Le scénario du film est assez surprenant. Il pourrait paraître banal dans un premier temps, le synopsis laissera croire qu'il s'agit d'une histoire d'amitié contrariée par l'arrivée d'une femme dans la vie d'un des personnages mais il n'en est rien. J'ai vu ce film comme l'illustration du malaise que vit Woodrow (interprété par Glodell) suite à une grosse déception amoureuse. Ca partait de manière idyllique, laissant place à une partie road-movie romantico-trash pour mieux s'effondrer ensuite. Les relations entre les personnages respirent la sincérité. Il n'y a pas de niaiserie, de grand discours, Glodell sait conserver un ton juste pour rester dans le vrai.

Bellflower s'appuye aussi sur une grande qualité d'interprétation, Glodell est très convaincant en tant qu'acteur de même pour Tyler Dawson qui campe Aiden, l'ami d'enfance du héros. Les interprètes féminines sont également remarquables. D'ailleurs les personnages sont intelligemment écrits, aucune glorification, aucun manichéisme, un physique plutôt banal (hormis quelques nichons fort appréciables), il s'agit d'êtres humains sous toutes leurs coutures, aussi bonnes que mauvaises.

L'ambiance du film est très réjouissante. Les effets visuels y contribuent beaucoup mais on sent un réel talent de cinéaste. Pour ma part je n'ai pas décroché une seule seconde du film grâcde à un rythme intéressant, une atmosphère envoûtante et un scénario malin. Ce dernier est assez alambiqué d'ailleurs, collant bien à ce côté "tempête sous un crâne" qui fait suite à une trahison et qui nous en montre les conséquences à savoir la douleur, le sentiment de rejet... Le découpage en chapitres et les quelques passages surréalistes sèment le trouble et nous transportent dans ce cauchemar éveillé dont on aura du mal à saisir le réel et l'irréel.
De plus la bande-son est excellente et accompagne parfaitement le film. Une bande-son qui appuie intelligemment le côté romance mélancolique du film avec un mélange rock/folk des plus délectables. Ca rajoute de la saveur à ce film qui en avait déjà à plusieurs niveaux. On sent que malgré l'aspect "bricolage" de Bellflower, tout a été pensé et ma foi plutôt bien réussi.



Un film qui n'aura pas fait trop de bruit hormis chez un public averti mais qui se révèle réussi dans l'ensemble. Bellflower et son histoire de deux mecs paumés voulant sortir de la morosité de leur quotidien propose un moment de cinéma étonnant à mi-chemin entre série B fauchée assumée et romance cauchemardesque. Si l'on ressent visuellement le budget low cost du film, on reste tout de même épatés par la virtuosité de l'ensemble malgré les quelques maladresses.
C'est un film fait avec coeur et talent, Evan Glodell devient de ce fait un homme à suivre car si il se montre capable de réaliser un tel film avec d'aussi faibles moyens, qu'est-ce que ça pourrait être avec un budget plus important... Un film marquant, reflet de la richesse du cinéma indépendant américain, qui sent bon l'essence et le caoutchouc brûlé. A voir!
Moorhuhn
7
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le 15 avr. 2012

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Moorhuhn

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