Il n'y a pas de spoilers, si ce n'est une descriptions des thèmes abordés. Évidemment vous aurez un bon nombre de surprise en moins en lisant cette critique, mais c'est "normal".

Prenant comme décors la magnifique ville de Barcelona, ville que l'on a l'habitude de voir sous un jour plus ou moins agréable, Biutiful traite de différents sujets dérangeants, morbides, en mettant l'accent sur les situations de misère humaine. Et il le fait en prenant comme point d'ancrage le personnage d'Uxbal, père de famille mourant, qui est parallèlement un malfrat corrompu en se faisant du fric sur le dos des miséreux encore plus miséreux que lui. Mais ce personnage présente une autre caractéristique, et pas des moindres, celle de pouvoir communiquer avec les morts, pour les "accompagner".

A travers la vie d'Uxbal, de son travail qui ressemble à celui d'un contrebandier, escroc de la pire espèce, profiteur des infortunés en leur extirpant de l'argent tout en en déversant le moins possible, le réalisateur Alejandro Gonzalès Inarritu montre des situations diverses et variés de différents aspects de ce qui est moche en ce monde, en cette époque.
Et tous les sujets y passent et y sont abordés : la drogue, l'alcool, la folie, le profit, la cupidité, la perversion, la trahison, la clandestinité, le deal, la pauvreté, l'exploitation allant jusqu'à l'esclavagisme; la violence policière, la violence tout court, les meurtres, la mort, la maladie, la souffrance, la tristesse, le désespoir, et j'en oublie.
Tant de sujets et tant d'images, car celles-ci n'épargnent rien, et dérangent. Inarritu n'y va pas avec le dos de la cuillère, filmant une Barcelona crade de chez crade, que ce soit dans ses appartements ou dans ses rues, dans cette ambiance malsaine des bas-fonds pleine d'insecte, de fumée, de crasse, de cadavres.

Le problème n'étant pas que ce qu'il montre est trop tragique, mais qu'il en montre trop. Inarritu nous balance dans son histoire d'un coup, et alors que l'on comprend mal ce qu'il se passe exactement dans telles ou telles situations au début, il nous envoie à la figure cette multitude de thématiques diverses et glauques. Ce qui a pour effet de nous faire entrer difficilement dans le récit, surtout de par le rythme volontairement lent de l'oeuvre. On ne comprend pas tout à fait au début où est-ce que nous emmène le réalisateur, et on se retrouve à observer ses situations misérables, en un tel nombre que l'enregistrement d'information se révèle difficile. En plus coupé, le film aurait pu être plus digeste, et la lenteur moins lourde durant la première heure, afin de bénéficier d'une meilleure implication du spectateur dans le récit. Ce qui, heureusement, se fera progressivement au fil du film (ou en tout cas, selon mon point de vue purement subjectif). On aurait aimé sûrement que le film soit plus concis (enfin attention, je parle pas d'enlever 3/4 d'heure au film, hein, soyons clairs).

Mais si le manque de simplicité peut s'avérer un défaut, c'est bien le seul que l'on peut déplorer dans la réalisation d'Inarritu, qui filme avec une précision méticuleuse et qui a un sens de la maitrise de la caméra assez spectaculaire. La caméra portée, naviguant au plus près des personnages, les rapproche du spectateurs pour en saisir toute la finesse des émotions, des sensations présentes dans l'air autour d'eux. C'est d'une justesse implacable. Que ce soit du simple repas à table aux scènes des plus déchirantes, en passant par des courses poursuites, la caméra d'Inarritu nous permet une extraordinaire sensation de pouvoir palper chaque émotion présente.

Ainsi le ton tragique de cette histoire d'homme en perdition plein de tourments, de regrets et de remords, ne sachant pas accepter sa future mort et abandonner ses enfants qui sont tout ce qu'il aime, ce ton est particulièrement sensible.
Et ceci n'est possible que par l'incroyable justesse de tous ces acteurs, qui excellent tous. Javier Bardem est brillant, tout simplement. Il porte l'histoire à lui seul, par son talent extraordinaire.

Si cette histoire est sans espoir, et qu'elle n'est pas "biutiful" ce n'est pas pour autant qu'elle n'est pas touchée par quelque chose de beau. Inarritu aborde le thème de la paternité, certes en l'abordant en ne montrant pas que des belles choses au niveau familial, mais il insiste sur cet amour, sur la relation d'un père à ses enfants, de l'enfant à son père. S'il montre des choses misérables, Inarritu se veut aussi porteur de ce qui devrait être, notamment en l'importance des liens familiaux, de l'importance d'aimer, de reconnaître.
Et ce n'est possible que par la dose de poésie présente dans l'oeuvre. Poésie ? Oui j'ai bien dit poésie.
Car il n'y a pas que de la belle poésie, celle qui montre la beauté, il y a aussi celle qui parle de sujets dérangeant, et aussi celle qui est mélancolique et qui montre des choses qui ne vont pas sur ce ton si particulier, ce ton qui tout en montrant des horreurs apporte également sa dose de beauté. Cela se comprend dans le film par la photographie extraordinaire qu'il nous offre, d'une qualité irréprochable, par tous ces plans de décors qui même s'ils montrent des choses aussi moches qu'un cadavre de chouette sont d'une beauté hallucinante qui frappe le spectateur. La BO d'une beauté somptueuse accompagne l'oeuvre de manière discrète mais très efficacement.
Mais il n'y a pas que ceci, il y a aussi la magie, et le fantastique, avec ce don qu'a Uxbal d'aider les morts à partir en leur parlant, en communiquant avec eux. Ce don qui sort de nulle part casse avec ce ton miséreux présent tout le long du film, le détache, apporte sa dose de fantastique dans ce monde moche, même si au fond ce don est aussi morbide que le reste... Et qui est surtout sous-exploité, ce qui est fort dommage, car l'intégrer était une idée superbe et risquée, mais l'on aimerait en savoir plus, et on reste sur une insatisfaction à ce niveau là.

Pour conclure, c'est un film qui se révèle véritablement bon, mais peu accessible au grand public (ce qui est loin d'être un défaut à mes yeux... je ne fais que prévenir) et qui est tout de même empreint de certains défauts.
Mais il y a ces scènes qui me marqueront, celles d'opening et d'ending, d'une beauté visuellement extraordinaire, pleine de poésie, que ce soit dans les paroles ou dans les images. Scènes vraiment magnifiques que j'aime particulièrement (d'ailleurs, si quelqu'un pouvait me passer la citation exacte en espagnol avec la chouette et le renard, ce serait chouette - haha!)
GagReathle
7
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le 12 nov. 2010

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