« Polytechnique », « Incendies », « Prisoners », « Sicario » et « Premier Contact » sont notamment les plus grandes réussites du Canadien Denis Villeneuve, même si sa filmographie reste globalement brillante. Il aborde ainsi une nouvelle science-fiction avec une réalisation à la fois paresseuse mais gourmande en prouesses techniques. Il succède ainsi à Ridley Scott sur la base d’une mégalopole mêlant son atmosphère futuriste et régressif. Non pas une étendu directe au roman de Philip K. Dick, cette dernière œuvre se démarque par une lecture poussive et expressive du décor et une photographie de qualité. Roger Deakins ne perd pas une seule image dans son minutieux travail et envoûte nos yeux, sensibles et séduits. La bonne coordination se fait alors sentir dans une fluidité trop calculée, cependant appréciable. Les scénaristes Michael Green et Hampton Fancher sont eu le cœur et l’esprit de proposer un scénario digne du réalisateur, parsemant les clés vers un ultime twist, ambigu, constructif et ouverte.


Nous suivons ainsi le blade runner et Réplicant K. (Ryan Gosling). L’acteur lui donne le cachet adapté, frôlant ses performances exploitées par Nicolas Winding Refn, notamment dans « Drive » et « Only God Forgives ». Equilibré, le personnage propose une forte détermination. On peut sentir une confusion habilement distillée dans son caractère. A la fois vide et riche intérieurement, K. plonge dans une enquête questionnant peu sur l’humanité des Réplicants, ou du moins pas comme nous l’attendions. Les émotions sont au centre de la lecture anti-manichéenne. C’est pourquoi de longues séquences viennent exprimer plus qu’un simple visuel gracieux. Elles viennent accompagner la narration au profil des maigres échanges entre les personnages. Le plan d’un simple regard exprime ainsi plus qu’un contexte, il fait ressortir toutes les nuances de la réflexion. Une couleur oriente aisément nos jugements. Le réalisateur place alors des amas de lumières afin de troubler notre interprétation logique, laissant la place à l’intuition. Voilà le secret et la recette de cette œuvre, tant portée par l’esthétique. Cet intermédiaire manie suffisamment les pensées du spectateur pour une immersion totale dans l’univers post-apocalyptique.


C’est à partir de là que l’on trébuche sur des futilités qui ont mal été négociées. Tout d’abord, le caractère prévisible du scénario cède peu de place pour la réflexion. Les scènes s’enchainent et ont tendances de s’interconnecter, rendant ainsi la narration trop sur expliquée. Un détail peu négligeable, connaissant les habitudes méticuleuses du réalisateur. Toutes les relations entourant K. amènent peu à questionner sur son état d’âme, étant donné la remarque précédente. Joi (Ana de Armas) hérite alors d’une approche plus intéressante, mettant en avant l’ascension de l’intelligence artificielle vers la maturité absolue, à savoir l’humanité. Elle porte les valeurs des sens et des émotions, surclassant les humains à une condition isolée. Et pourtant, tout ne reste qu’artifice et manigance.


Il est très difficile de capter les émotions d’une certaine manière, car la photographie embrasse toute notre attention. Nous avons à peine le temps d’y penser que le fil conducteur nous extirpe toujours de l’imaginaire, commençant à se dessiner. Les débats font fureur un court instant, puis l’on ajoute un élément majeur venant faire table rase la plupart du temps. Le retour de Rick Deckard (Harrison Ford) reste tout de même soigné, dressant un schéma de doute lorsque le raccord avec le premier opus est abordé. On joue ainsi sur la condition de fragilité qui l’accompagne. Le vieillissement démontre que rien n’est éternel et que l’heure de reconstruire avec son passé est venu. Quant à Niander Wallace (Jared Leto), à la tête de la corporation fabriquant les Réplicants, il rafraichit par une prestation nette et sans bavure. Luv (Sylvia Hoeks) l’accompagne dans sa quête de la perfection, mais ne permet d’exprimer son potentiel que dans des séquences mouvementées, où les dialogues sont aussi calculés que la chorégraphie reste sobre et sans émotion.


Au final, si la suite du monument de Scott n’avait pas lieu d’être, « Blade Runner 2049 » prouve qu’il mérite d’exister au sein de la fratrie. Sa patte esthétique a eu raison de son œuvre personnalisé et lumineux comme jamais. Ce qu’on reproche à tort de Villeneuve, c’est son rythme. Bien entendu, le film reste long mais il ne demeure pas lent pour autant, nuance. L’immersion reste toutefois positive, côtoyant le mystère avec modestie et sincérité. On conjugue la qualité visuelle avec le duo Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch pour un régal auditif. Vangelis n’aura cependant rien à envier à ces artistes qui surfent avec le succès et leur temps. La lourdeur des notes reflète alors toute la pression que le film tente de transposer dans le regard. Il faudra attendre un dénouement laissant planer le doute ou le simple mystère, renvoyant le spectateur sur ses acquis et le laissant fonder sa propre opinion sur l’identifier du film et mouvement porté par K. Si la question des réplicants ne comblera pas la plupart, celle qui interroge sur les frontières du réel et de l’artificiel tient ses promesses.

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le 15 oct. 2017

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