Pur produit du cinéma Pre-Code et accessoirement cinquième collaboration entre Marlene Dietrich et Josef von Sternberg, Blonde Venus s'était à l'époque illustré par une impopularité notable que l'on peut raisonnablement relier au rôle de l'actrice d'origine allemande, ni espionne, ni princesse, ni femme fatale, ni célèbre chanteuse de cabaret. Elle tient ici un rôle beaucoup plus pragmatique, terre-à-terre, loin des paillettes et de la séduction radicale, probablement pour la première fois de sa carrière, une femme attachée à l'intimité de son foyer. Mais c'est précisément ce qui fait tout le sel d'un tel film, mettant en scène une femme dont l'indépendance est constamment menacée et qui se battra jusqu'au bout pour maintenir sa dignité.


Dietrich se retrouve prise en étau entre deux figures masculines : son mari Herbert Marshall (qui parvient à composer un personnage intensément et progressivement antipathique, c'est assez remarquable dans le contraste constitué en opposition à son rôle de séducteur amoureux dans Haute pègre aka Trouble in Paradise réalisé par Ernst Lubitsch la même année), souffrant d'une grave maladie l'obligeant à trouver une grande somme d'argent pour aller se faire soigner en Allemagne, et Cary Grant (dans un de ses premiers rôles), un homme politique chamboulé par ses numéros de cabaret qui se dira prêt à lui donner l'argent nécessaire sans véritable condition. On le voit venir d'un peu loin, mais il n'empêche, le trajet sera aussi beau que piquant : à mesure que Dietrich travaille pour permettre à son mari de financer son séjour médical, elle s'en éloignera. Les premières compromissions, les premiers mensonges... Ils auraient pu se séparer aisément, mais il y a un enfant au milieu qui complexifie la problématique.


On est en 1932 et la séquence la plus représentative du parfum de Forbidden Hollywood est sans aucun doute la première, quand les parents racontent leur rencontre à leur enfant. Un petit groupe d'hommes tombent par hasard sur un lac dans lequel se baignent un petit groupe de femmes allemandes, toutes également nues et libres dans l'eau. Grand moment de légèreté érotique, qui m'a paru en tous cas bien plus marquant que les quelques numéros musicaux fortement mis en valeur au cours du film — et ce en dépit de la célèbre scène où Dietrich déguisée en gorille sort de son costume animal pour en exhiber un autre, étincelant. Portrait émouvant d'une femme extrêmement combattive, à l'origine de nombreux allers-retours entre deux pôles (la misère au foyer et l'action au cabaret, la liberté et la soumission, grosso modo), prête à tout pour préserver son émancipation de désillusions en désillusions (si l'on excepte le final un peu trop gentillet) dans une société qui lui barre constamment la route.


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Créée

le 9 avr. 2024

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Morrinson

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