Une quête identitaire ou un film de formation

    « It is a strange world, isn't it ? » est une question qui semble parcourir Blue Velvet, un film que David Lynch donne à voir en 1986. Ce sont là les mots de Jeffrey Beaumont, un garçon entre les âges dont on suivra la construction identitaire et qui s'adresse alors plus à lui-même qu'à un autre. Si ce terme anglais « strange » nous réfère à la notion de bizarrerie, il s'y cache également un tout autre réseau sémantique, on trouve en effet la même racine latine en français dans le terme d'« étranger », la racine extraneus désignant ce qui provient du dehors, de l'extérieur. Plus que bizarre, en cette charnière qu'il traverse, ni plus enfant, ni encore adulte, le monde qu'il croyait connaître se révèle être une terre étrangère dont les contours n'ont plus la même constance ni les formes la même consistance. 
Le jeune homme en effet, amené à retrouver sa ville natale et son premier foyer lorsqu'il se confronte à la condition humaine de son père hospitalisé et impotent, est comme, suivant l'ordre des choses, contraint à la quête de soi. Au travers d'une intrigue policière - qu'entraîne la découverte qu'il fait d'une oreille humaine sur son chemin, le personnage cherche donc à se trouver lui-même. En ayant recours au genre policier, le réalisateur théâtralise en fait cette exploration de soi et en la ponctuant de péripéties et de retournements de situation, lui donne une importance centrale. En effet, plutôt que d'aboutir à la seule résolution du mystère qui entoure cette oreille, l'investigation aboutit également à une forme de résolution du mystère qui l'entoure lui, sujet, homme, humain, Jeffrey Beaumont. Au fondement de son identité, on trouve le rapport à l'autre et l'autre pour un sujet masculin en devenir, semble nous laisser entendre Lynch, c'est le père, la femme convenable, le rival, la figure d'autorité, l'amante, la mère ou autant de rôles sociaux bien définis dont les représentations, desquelles il dispose, peuvent être sclérosantes. En outre, à la frontière du réel, ces représentations mentales et sociales ne font plus cohérence car sous elles, en deçà du vernis, les individualités se manifestent plus complexes, composées de ramifications où s'entremêlent des désirs contradictoires et des ego mouvants, non essentialisés. Les autres, que le protagoniste rencontre en effet au fil des plans, par le caractère intriqué de leur identité ou par la fixité parfois angoissante de leur persona presque trop soignée, interrogent ce système de représentations, de modèles et son évidence. Ces confrontations avec l'autre sont ainsi pour lui autant de pertes de repères mais la remise en question, ici de sa réalité, le doute en somme, de façon cartésienne, permet a posteriori la solidification des fondations alors reconstruites. Comment, donc, au prisme d'un antagonisme scindant représentation et réel, David Lynch retranscrit-il la lutte du sujet qui, plutôt que d'exister par lui même, est soumis au rôle social qui lui est attribué ? Et, en quoi l'affirmation du sujet semble-t-elle, dans la description qu'il en fait, si liée à l'identité sexuée, la sienne propre et celle des autres? En premier lieu, notre attention se focalisera sur ces personnages qui semblent parfaitement intégrés à leur société et profiter d'une identité résolue, notamment sur celle qui en est la représentante : Sandy Williams. Puis, presque entièrement par opposition, cette focalisation changera d'objet pour interroger un sujet qui se voit nié : Dorothy Vallens. Enfin, un dernier regard sera porté sur l'affirmation de soi et sur ce que Lynch nous en dit, il sera appuyé par l'exemple de Frank Booth.

La ville de Lumberto, ville natale du personnage principal qui semble l'avoir vu partir et qui l'accueille à nouveau est représentée d'abord comme cette ville lisse et sans défauts. Le film s'ouvre sur celle-ci, une petite ville américaine pavillonnaire, idéale et sans agitation qui donne au spectateur le sentiment de se tenir derrière la vitrine d'un magasin, particulièrement s'il s'attarde sur les figurants de ces plans, figés comme des mannequins. C'est une image qui revient à plusieurs reprises, l'image d'une vie américaine si proche de celle que les publicités représentent. Elle inspire perfection et fixité et nous apparaît encore clairement en tant que telle, juste après la scène d'exposition, avec l'usage d'ailleurs d'un panneau publicitaire et alors qu'un fond sonore radiophonique scande fièrement : «  U.S.A ! ».
Or, cette ville, pour profiter d'une telle image, pour apparaître ainsi aux yeux de tous, doit être soumise à une forme d'organisation que permet le respect de rôles sociaux très stricts. La famille Beaumont même, dans la scène d'exposition s'en fait l'exemple, rien que par la division de l'espace d'habitation. D'emblée, chacun à une place bien définie, la femme est à l'intérieur de la maison – elle en fait presque partie intégrante, on ne la voit jamais en sortir, tandis que l'homme, lui, est posté à l'extérieur de la maison dans la position décontractée de celui qui est en contrôle et qui nourrit le foyer – ici nourrissant l'espace végétal. Cette première scène met en images une tradition virile et archaïque, celle de la succession car pour que les rôles gardent de leur logique, il faut se laisser la place. Ici, non comme dans les récits étiologiques qui nous content les destinées amputées de Chaos ou de Chronos, la nature est celle qui rend nécessaire la succession, ce n'est pas le fils qui lutte pour prendre la place du père, c'est le père qui, par faiblesse corporelle, par vieillesse, jette le fils à sa place, désormais libérée. De façon comique, un parallèle est fait entre le tuyau d'arrosage – dans la façon qu'il a de le tenir, le revolver à l'écran sur lequel la femme a les yeux rivés et le membre phallique. Lorsque le tuyau se tord autour d'une branche – élément naturel, c'est sa virilité qui lui fait défaut et de la position de contrôle de départ il tombe impuissant et couché sur le sol, dominé par un chien qui attaque violemment sa protubérance phallique qu'est le tuyau d'arrosage et observé par un jeune bambin qui du fond de l'écran entre dans le plan. L'image de la succession, du passage de flambeau est ainsi représentée. Plus tard, on verra d'ailleurs le personnage reprendre le travail même de son géniteur. Sur son lit d'hôpital, le père est incapable de parole, c'est au fils désormais d'exprimer son sujet et, en effet, il en aura l'occasion car sur le plan qui suit il tombe sur cette fameuse oreille.
La découverte de cette oreille amène Jeffrey à faire la rencontre d'une nouvelle identité qui auprès de lui endossera un rôle bien particulier, celui de la figure autoritaire virile. Effectivement, face à telle trouvaille, le personnage s'en réfère à la police et plus particulièrement à l'un deux, le détective Williams, son voisin qu'il connaît et en qui, d'une certaine manière et de fait, il a confiance. Ce dernier, à de multiples reprises tentera de tenir Jeffrey éloigné de l'affaire, cherchant à le protéger, comme un parent protège son enfant et le conserve encore un peu dans un monde d'innocence, il lui refuse le partage des détails de l'enquête comme on sépare la conversation des grands de celle des petits. En le tenant écarté de l'intrigue, il l'infantilise, certes, mais l'autonomise également en le poussant d'une certaine manière à agir par lui même en n'obéissant qu'à sa volonté personnelle et en ayant recours qu'à son propre bon sens. S'il a effectivement été jeté dans cette quête de soi-même, il n'agit pas sous contrainte, il apparaît fasciné par le nouveau monde qu'il découvre et poussé par sa seule curiosité et de son plein gré, il interagit avec celui-ci.
De rose vêtue, Sandy Williams, fille du détective, apparaît à Jeffrey en créature merveilleuse et irréelle sortie des feuillages, mais la première fois qu'elle apparaît à l'écran, qu'elle apparaît au spectateur, c'est sous la vitre d'un cadre-photo, figée et inanimée. Elle est l'exemple parfait du personnage qui endosse une persona, un rôle social auquel elle se tient, celui de la jeune et jolie ingénue, vertueuse. Cette image travaillée qu'elle renvoie d'elle-même est mise en danger par Jeffrey lui-même, elle est obligée de tenir secrètes leurs entrevues pour protéger son statut social - que représente son petit ami. On remarque d'ailleurs que si lui est généralement poussé par des forces masculines dans la recherche ou l'affirmation de soi, elle est tirée par lui du monde des enfants dans celui des adultes, marquée de passivité, elle fait ce qu'il lui dit. Les deux personnages en cela respectent une composition de caractère genrée en laquelle la fille apparaît passive et l'homme actif, mais plus que cette simple division des genres, on retrouve chez Sandy les traits propres à un être féminin dans ce qu'il a de plus symbolique et d'issu de la culture occidentale : elle est douce, dans la restriction gestuelle et active, rêveuse. Assez ironiquement, David Lynch détourne le topos du rencard à chaque fois qu'il y place les deux jeunes gens, de sorte à ce que rejaillissent à l'écran les rapports de force qui s'opèrent entre eux ou sur eux. À titre d'exemple, lorsqu'ils se retrouvent au restaurant pour la première fois, il lui présente la sortie du monde de l'enfance – que représente le tiers personnage de Dorothy, sous forme de jeu, il dit avoir un « plan » et en effet, lorsqu'ils se rendront sur la Lincoln Avenue, ils seront déguisés mais le jeu ne tarde pas à devenir réel et il la renvoie chez elle. Pourtant, là encore, Sandy se tient à ses côtés, elle y restera jusqu'à la fin, en femme fidèle avant l'heure, toujours égale à ce qu'elle est, vertueuse.

Il y a ville dans la ville ; sous la première s'en cache une autre, plus sombre, plus violente et dangereuse. La première occurrence de cet espace d'abord dissimulé apparaît sur les trajets de Jeffrey vers ou depuis l'hôpital, il traverse une espèce de terrain vague, un lieu qui semble hors de la ville tout en y étant, duquel ne s'élève qu'un petit cabanon délabré qui d'emblée s'oppose à la jolie maison de ses parents que l'on aperçoit au début. Cet espace non habité et naturel, dans lequel on rencontre le protagoniste errant, pour la première fois, interroge, existe-t-il derrière les représentations sociales et acceptées une autre réalité ? Il dit au policier avoir trouvé l'oreille : « behind our neighborhood », autrement dit derrière le décor, sous la mise en scène. Or, cette dimension duale n'existe pas que dans l'environnement du personnage principal mais également en l'intériorité d'un des personnages même, celui de Dorothy Vallens ou Lady Blue.
Le personnage qu'interprète Isabella Rossellini en effet, apparaît en premier lieu comme une rumeur, rapportée par la parole de Sandy, mystifiée et sans nom. Son apparition sur scène met assez bien en exergue le caractère double de son être, elle est « Lady Blue » interprétée par Dorothy Vallens, comme la ville, elle est vernie d'une image, ici sensuelle, celle de l'objet du désir mais sous l'image, la représentation, se manifeste toujours le réel, une autre identité, celle de la femme en souffrance et de la mère Dorothy Vallens. Les paroles même qu'elle prononce la divisent : « She wore blue velvet » on peut croire au sujet qui parle de lui-même, on le verra plus tard, son autre ego, le pendant non scénique porte du velours bleu. Ce personnage porte en lui les ferments de ces deux figures : l'amante et la mère, l'une est une création scénique, l'autre l'interprète qui recèle une toute autre identité. Lorsqu'il entre d'ailleurs pour la première fois dans son appartement, ou plutôt qu'il s'y introduit par effraction, Jeffrey nous présente deux pièces à l'écran qui se font face, la chambre dans laquelle on aperçoit vivement un lit aux draps rouges et défait qui semble encore porter les traces d'ébats et de passion et une autre chambre, celle d'un enfant, abandonnée en l'état où l'on ne voit surtout qu'un élément, un chapeau musical, un objet qui appartient et qui porte le souvenir de son propriétaire.
Lady Blue est un personnage qui, en tant qu'objet de désir, réveille les pulsions et il semble bien que c'est sous l'effet de la pulsion que Jeffrey se décide à se rendre chez elle. Dès lors que ses yeux se sont posés sur elle, alors qu'elle chante, il est atteint d'un désir passionnel qui l'empêche de raisonner. Elle a un impact évident sur les autres, Lynch nous en montre trois, deux points de vue masculins et un féminin. Sur le couple que forment Sandy et Jeffrey, lorsqu'elle se produit, elle génère une forme de gêne, un malaise, en les mettant face à eux-même. Tout humain porte en lui le désir charnel même s'il cherche à s'en désolidariser, en exprimant sa sensualité, elle les met en fait face au rapport complexe et tabou de l'objet sexué et du désir en général. Un tabou qui l'est bien plus encore dans le contexte amoureux lorsqu'il est vertueux et chrétien, dans l'idée qu'il y ait souillure par la libido du corps. Face à cette femme, Sandy est comme effacée, elle ne peut pas être à la hauteur et pour cause, Lady Blue n'est pas une femme, ou du moins une femme qui appartient au réel mais bien plutôt au monde des représentations, elle est une entité incarnée qui n'existe pas, en tant que Lady Blue, le personnage n'est pas une mais toutes les femmes. En tant que telle, elle incarnera aussi la mère de Frank Booth dans le violent rapport charnel qu'il lui imposera.
Lorsqu'elle n'est pas bleutée par la lumière des projecteurs, Lady Blue a un nom : Dorothy Vallens et c'est bien ce que découvre Jeffrey lorsque, s'étant introduit chez elle, il est contraint de se cacher dans son placard et de là, est incapable de ne pas la regarder. Il la découvre littéralement dans son intimité dans la mesure où elle se déshabille. Plus encore, on apprend qu'elle porte une perruque qu'elle retire alors comme si elle retirait un masque, les cheveux d'une femme ayant une forte portée symbolique, souvent liés à son identité et imprégnés d'une lourde histoire (cf. l'humiliation des cheveux rasés durant la Shoah ou à une autre époque, coupés avant de passer à la guillotine). Il apprend aussi à ce moment seulement qu'elle est mère et épouse, ou du moins qu'elle l'était car le statut lui a été retiré, on lui a enlevé sa famille, faisant d'elle un être incomplet, qui ne peut que se nier et sur lequel n'importe quelle figure peut être apposée, condamnée à être toujours autre qu'elle même. Les deux hommes en présence de qui on l'envisage, soit mettent sur elle un visage qui n'est pas le sien comme celui de la mère de Frank ou bien de ne pas lui mettre de visage du tout, de la voir comme un objet de désir en soi, comme pour Jeffrey, particulièrement lorsqu'il laisse libre cours à sa pulsion, à son désir de violence et de domination, sur elle.


Le personnage de Jeffrey, humain avant tout, puisqu'il fouille en lui-même à la recherche d'une identité, ne se contente pas de trouver ce qu'il est mais également ce qu'il pourrait être, ses possibilités de devenir qui se révèlent par ce qu'il y a d'instinctif en lui : tout ce qui a été contenu par un comportement social inscrit en lui. Une retenue saine mais qu'il n'avait pas conscientisée car la violence que contient l'homme, qu'il sublime ou refoule, n'est pas forcément consciente, elle peut résulter du simple mimétisme d'un comportement social partagé de tous.
Jeffrey est choqué d'abord de la violence de Frank mais la reproduit tout de même, sous le coup de l'impulsion, comprenant par cette imitation spontanée qu'il est lui aussi animal ou du moins qu'il porte en lui quelque chose d'instinctif et de dangereux. Il le niera par la suite. C'est en cela que le personnage de Frank Booth est retors, il ne nie jamais sa déviance et apparaît à l'écran comme la figure du grand méchant loup, le mal profond à annihiler, le mal profond qu'il suffirait d'annihiler. Tout participe d'ailleurs de cette illusion, de sa veste en cuir noir à sa façon de s'exprimer, toujours hurlant, jusqu'au viol de Dorothy auquel Jeffrey assiste. Néanmoins, qu'il soit moralement mauvais ne le dénue pas de toute sa complexité, il est toujours marqué d'un complexe d'Oedipe qui s'exprime avec brutalité et d'un extraordinaire besoin de domination intimement lié à sa virilité. Lorsque le spectateur le découvre, c'est chez Dorothy Vallens qu'il soumet à son pouvoir par la détention de sa famille et qu'ainsi il réussit à posséder entièrement en la dépossédant de ce qu'elle est. Dans cette scène, la direction que Frank donne à son regard est crucial, il ne la regarde jamais dans les yeux, sa mère il la retrouve face au sexe féminin, le visage c'est encore trop proche d'une forme d'identité. De surcroît, les yeux, de même que la parole, disent aussi. En l'autre, on se voit soi-même et il n'est pas dit que si elle le regardait il ne se verrait pas en elle, lui et son complexe d'Oedipe qu'il n'assume pas ouvertement en dehors de la pulsion, comme le prouve la rapidité avec laquelle il s'en va suite au viol et l'extinction de la flamme. Si elle le regardait, il verrait peut-être même en elle sa propre monstruosité. Si elle le regardait, il ne pourrait pas la posséder.
Le complexe oedipien n'est pas le seul indice de la complexité de son identité, si épaisse et si emmêlée qu'elle semble hors de toute catégorie, il est notamment rendu évident - dans la scène où il tabasse Jeffrey, qu'il bataille avec un problème de virilité. Non seulement parce qu'il est obsédé à l'idée de posséder cette femme mais également dans la façon révélatrice et presque poétique qu'il a de menacer le personnage principal avant de lui assener de nombreux coups, Frank partage sa conception de la rivalité masculine. Comme un dernier avertissement, il s'étale du rouge à lèvres sur la bouche et embrasse comme il l'aurait frappé, la bouche de Jeffrey. Il lui explique ensuite que si un jour il reçoit une lettre d'amour dont il est l'expéditeur, c'est qu'il va mourir, parce que pour Frank, c'est comme s'il lui jurait sa mort. Pour lui en effet, il n'y a pas pire affront, d'un homme à autre homme que celui d'un témoignage d'amour. Lynch interroge ici la pression de la virilité sur les hommes et la déformation de celle-ci en des extrêmes de rivalité presque homophobes. En usant de l'image et en la détournant de son sens premier, il en traduit la violence.
Pourtant par son meurtre, par la victoire sur cette relation de rivalité, Jeffrey affirme enfin son identité, trouve la reconnaissance de la figure d'autorité du détective Williams et choisit un amour sain et conventionnel : « there is trouble 'til the robins come » disait Sandy au pieds de l'Eglise, et les rouge-gorges sont présents à la fin du film, ou plutôt l'un d'eux et il engloutit les bestioles venues des dessous de la terre, l'amour engloutit l'instinct animal. Une fin inattendue pour un film de David Lynch si on la prend au premier degré, mais agrémentée d'une distance ironique en revanche, elle prend une toute autre consistance. À la fin du film, chacun retrouve son rôle social, Sandy se retrouve à l'intérieur de la maison avec les femmes et Jeffrey à l'extérieur, avec les hommes, rappelant à l'esprit le début de l'oeuvre. Il y a un retour au cadre, au vernis, à la vitrine, le même cadre qui finalement trop contraignant a peut être créé le personnage de Frank en ne lui faisant pas de place, où la différence et la singularité ne sont pas acceptées. L'affirmation de soi se fait dans le déni. Les images de la ville parfaite reparaissent et laissent place finalement à ce plan sur cette mère, Dorothy et son enfant et sur la promesse d'un cycle de violence qui se renouvellera.


David Lynch au travers de Jeffrey Beaumont exprime la difficulté dans la recherche d'une identité propre, car même si supposément libre, celle-ci ne peut se passer de la nécessité de correspondre au monde des représentations. Tout en mettant l'emphase sur ce rapport sociétal désormais intrinsèque à l'homme, il rappelle au spectateur à quel point ces mêmes représentations sont loin d'un quelconque réel et que, si la disposition sociale et son système de modélisation est nécessaire, elle est aussi à nuancer. Les êtres ne sont pas fixes mais changeant et c'est bien le problème des représentations, elles s'imposent en vérités immuables. C'est d'ailleurs bien d'une représentation que Dorothy n'arrive pas à s'extirper, elle est cet objet du désir seulement parce qu'on fait d'elle celui-ci mais hors idéalisation, elle est une femme humaine, réelle, avec des sentiments, une particularité, des envies propres, un statut social, etc. C'est par le désir avant tout que le réalisateur nous révèle les identités dans ce film, la question de l'identité sexuée et de son impact ne peut être balayée, on la retrouve dans le rapport du jeune homme aux différentes figures masculines et par une division très claire dans le rapport qu'il entretient avec les différentes figures féminines. La première fois qu'il rencontre la femme, dans toute sa complexité, Lady Blue et Dorothy confondue, il est alors véritablement en proie au trouble de l'identité car face au sujet féminin, il est renvoyé à sa propre subjectivité et donc à la question : « Qui suis-je ? ». Jeffrey, d'autre part, que Lynch met face à des exemples masculins contradictoires doit choisir entre l'instinct pulsionnel et animal qui sommeille et lui et la maîtrise de soi par l'acceptation d'un rôle social. Finalement, le film pose cette question : l'un est-il plus terrible que l'autre ? Il y a de l'effrayant dans ces visages figés et souriant de la ville parfaite de Lumberto et le choix semble manquer de juste mesure.
judith-_1
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 27 févr. 2017

Critique lue 331 fois

Judith H.

Écrit par

Critique lue 331 fois

D'autres avis sur Blue Velvet

Blue Velvet
Quantiflex
10

Deep River

Bien qu' aimant beaucoup le bonhomme, j' avoue avoir quelques réserves sur les films que Lynch a fait ces dernières années, mais par contre "Blue Velvet" (1986) est un objet hors du commun . "Laura"...

le 24 mars 2011

85 j'aime

14

Blue Velvet
Gand-Alf
9

David Lynch au sommet de son art.

Après l'expérience désastreuse de "Dune", David Lynch revient à ses véritables obsessions avec ce qui s'avère un de ses meilleurs films, à une époque où le cinéaste parvenait à tenir son intrigue...

le 2 avr. 2012

76 j'aime

10

Blue Velvet
Lulisheva
9

She wore blue velvet, but in my heart there'll always be...

La première fois que je l'ai vu, j'étais déçue. Je n'avais pas tout de suite saisi que ce film et son ambiance angoissante s'étaient introduits au plus profond de mon inconscient. L'envoûtante...

le 29 mars 2017

60 j'aime

12

Du même critique

Silence
judith-_1
3

La Foi perçante, un spectateur martyr ou un réalisateur un peu mégalo

Il est difficile, si l’on est pas fidèle et baptisé, d’appréhender le monde par la lunette du croyant. La pensée, dans les cas où elle n’a plus de destinataire qu’elle-même, peine à s’envisager...

le 13 févr. 2017

2 j'aime

Blue Velvet
judith-_1
10

Une quête identitaire ou un film de formation

« It is a strange world, isn't it ? » est une question qui semble parcourir Blue Velvet, un film que David Lynch donne à voir en 1986. Ce sont là les mots de Jeffrey Beaumont, un garçon entre les...

le 27 févr. 2017

Les Souffrances du jeune Werther
judith-_1
9

Reconnu non connu

Lorsqu'on pense au romantisme, c'est Goethe qui nous apparaît en premier lieu - si l'on est pas franco-français et obsédé par notre cher René. Les souffrances du jeune Werther, c'est un titre qui...

le 5 juin 2016