Comme j'en faisais part à l'un de mes éclaireurs (au pseudo tout indiqué) après le visionnage, je ne savais pas du tout à quel objet filmique je venais d'avoir affaire. Je sentais bien qu'il me plaisait, mais d'un autre côté, j'avais le sentiment d'être passée à côté de certaines clés insinuées par Lynch qui m'empêchaient de le cerner totalement, et de l'apprécier à sa juste valeur. Comme si le réalisateur avait pris un malin plaisir à en suggérer plus qu'il n'en laissait voir, en dissimulant des indices dans ses dialogues, ses transitions, ses décors ou plus profondément encore, la symbolique de ses choix, ses thèmes, etc... J'étais perdue.
Je n'étais certaine que d'une chose : David Lynch est bien le maître du mystère.

Tout d'abord, pourquoi le film s'ouvre-t-il sur cette oreille, ou plutôt la perte de cette oreille ?
Eh oui, la fille rationnelle que je suis a besoin de se faire une interprétation du moindre détail afin de donner du sens à ce qu'elle voit. Et je suis intimement convaincue que c'est là l'intention même du réalisateur : susciter la projection du spectateur grâce à des sensations, lui laisser entrevoir ce qu'il veut et se faire de son œuvre l'interprétation qui lui plaît.

Ainsi, dès le départ, on sent bien que toute l'ambiance du film est adossée à un thème primordial : celui de la musique, évidemment. Entre la BO qui revient sans cesse, sous diverses formes apportant chacune un nouvel éclairage, mais aussi la perte de la voix pour le père de Jeffrey (le héros) en tout début de film ou encore la perte de l'oreille marquant le point d'ancrage de toute l'action : il y a matière à réfléchir. Personnellement, j'ai tendance à rapporter tout cela à Franck, le personnage du méchant dans le film, lui qui aurait tant aimé ne pas entendre ces chansons qui le ramènent immanquablement aux traumatismes de son enfance. Ainsi, de part ces rappels constants, Lynch parvient à ancrer profondément, de manière diffuse, l'idée de la présence du mal partout dans ce monde, comme les personnages aiment à le répéter si souvent : "It's a strange world".
On a le sentiment d'être prisonniers d'un rêve un peu confus, où l'on entendrait une musique en boucle jusqu'à en avoir le tournis, et serions voués à un mutisme frustrant devant la grandeur des images qui nous assaillent; le tout dans un flou bleu nuit.

Ce qui m'amène donc inévitablement à l'autre thème central, qu'est celui du rêve et tout ce qu'il implique en terme de sensations, de nuit, d'idéal, etc...
Avec le personnage de Franck, Lynch nous met en présence de ce que le rêve peut amener de plus sombre et chaotique : le fantasme d'inceste, en l’occurrence le désir de la mère. Et à l'exact opposé, ce qu'il peut apporter de plus doux incarné par le personnage de Laura Dern, Sandy, la petite amie de Jeffrey. Celle-ci, afin d'apaiser son amoureux, lui fera part du rêve qu'elle a fait la nuit où elle l'a rencontré, dans lequel le monde lui apparut sombre et effrayant jusqu'à ce que de petits oiseaux (les robins) symbolisant l'amour, vinrent y apporter leur lumière. Bon, dit comme ça, ça peut paraître très naïf mais je vous assure que la scène est magnifique.
Quant à Jeffrey, on se demande l'espace d'un instant s'il n'est pas lui-même en train de rêver sa vie, tant ses démarches sont audacieuses et le monde qu'il aborde, éloigné de l'image du garçon simple qu'on avait rencontré au début du film.

C'est d'ailleurs l'un des aspects du film que j'ai le plus apprécié, cette ambiguïté du personnage principal. On est totalement séduits par lui. On le trouve à sa place aussi bien au grand jour, dans les bras de Sandy à danser un slow langoureux sur "Mysteries of Love" de Julee Cruise; que plongé dans les profondeurs de la nuit, debout dans le salon d'un dandy déjanté entouré de dangereux mafieux. Il est tellement mystérieux et sombre, presque sale j'aurais envie de dire. Je me souviens encore du visage déchirant de Laura Dern, devant son petit ami tenant dans ses bras une femme nue, ravagée de coups, lui murmurant qu'il est son amant secret. J'en ai eu la boule au ventre.
Est-il un détective ou un pervers ? Le film ne fera jamais vraiment la lumière sur cette affaire et se contentera d'envisager les deux options.

En fait, je dois dire que paradoxalement, je n'aime jamais trop chercher à disséquer les choix d'un réalisateur en général, de peur que cela enlève quelque chose à la magie de son œuvre. Mais il semblerait qu'avec Lynch, tout ne soit qu'affaire de perceptions et sensations, donc par définition, impossible à saisir pleinement. Et moi, j'adore les énigmes.
Le film me semble ainsi toujours aussi mystérieux et obscur, mais au moins maintenant je sais ce que j'aime en lui. Même si je garde encore cette sensation désagréable d'être passée à côté de certaines impressions essentielles.
Je suis donc quitte pour un nouveau visionnage, ce qui n'est pas pour me déplaire !

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le 26 mars 2014

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Mlle_Nana

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