oct 2009:

Le Breton et Melville ont sans doute dessiné un personnage mythique, haut en couleurs, un enfant au-dessus des hommes. Avec sa blondeur platinée et toujours impeccablement lisse de gomina, Bob (Roger Duchesne) a tout d'un ange, maudit, cela va de soi, qui se brûle les doigts et les ailes dans les bouges ou les casinos. Gueule en acier, mâchoires serrées, yeux d'un bleu métallique et face immaculée ont de quoi mettre les foies à n'importe qui. Le marlou Marc ne moufte guère quand Bob s'énerve. A se demander si ces messieurs n'ont pas voulu évoquer avec ce froid faciès la figure emblématique du Dr Mabuse made in Rudolf Klein-Rogge.

Les prises de vue obliques, en plongée ou contre-plongée, donnent à l'action et aux personnages des airs de bande-dessinée mouvementée dans lesquelles les héros au grand coeur sauvent les innocentes jeunes fille en détresse. Ici, on évolue plutôt dans le noir, mais Bob a la générosité tout aussi ample. Il ne supporte pas les maquereaux, a pris sous son aile un freluquet un peu naïf et se prend d'affection paternaliste pour une jeune femme à la cuisse légère, au plus offrant. Comme on est dans le noir, les histoires de casse finissent évidemment mal. L'ironie du sort s'acharne et prend un malin plaisir à jouer des tours à ce joueur invétéré. Bob flambe au mauvais moment.

Melville dépeint parfaitement la population interlope du Pigalle des années 50, c'est à dire un univers qui commence de s'écrouler, éteint aujourd'hui, un monde sans came où les loulous ont un code d'honneur. Tout en flirtant délibérément avec les codes cinématographiques des polars noirs américains, Melville assure une réalisation très vive et d'une belle richesse avec une très grande variété de cadrages. La photographie d'Henri Decaë est souvent belle, parfois plus encore. Autrement dit, c'est bien foutu.

La post-synchronisation pas toujours correctement ajustée m'a un peu gêné. J'ai toujours du mal avec ce procédé. La distribution souffre un peu de ce décalage sonore. On se retrouve avec les mêmes soucis de vérité dans l'intonation et d'authenticité dans le ressenti que sur les films étrangers doublés. M'enfin, c'est anecdotique et sensible qu'à de rares reprises. Il n'échappera cependant à personne que le bât blesse sur quelques acteurs. Daniel Cauchy surtout, dont la fraîcheur n'est pas à négliger, mais qui est tout de même plutôt limité, voire mauvais (la fin). Les deux vieux, Roger Duchesne et André Garet, ont des jeux très secs, ce qui se révèle d'une part fondamental pour leurs personnages et d'autre part pour toute l'atmosphère noire que réussissent à créer Decaë, Melville et Le Breton. Les deux personnages sont peu de choses près des taiseux, qui parlent vite et bien, sans faire de longs discours, avec un débit rapide, à la mitraillette, tout à fait dans le style que Melville appliquera avec d'avantage encore de puissance, grâce au système de communication le plus austère qui soit : le silence.

Film noir démontrant que Melville est un cinéaste prometteur, pas encore totalement maître de son art et de sa mythologie.
Alligator
7
Écrit par

Créée

le 23 mars 2013

Critique lue 562 fois

8 j'aime

1 commentaire

Alligator

Écrit par

Critique lue 562 fois

8
1

D'autres avis sur Bob le flambeur

Bob le flambeur
Val_Cancun
7

Solide comme Duchesne

Après deux adaptations littéraires et un mélo de commande, Melville signe ici son premier film de gangsters, le genre qui fit sa gloire et devint sa marque de fabrique. Six ans avant "Le doulos" et...

le 14 nov. 2019

18 j'aime

7

Bob le flambeur
oso
7

Dialogue sur l'oreiller avec madame Chance

Il y a dans Bob le flambeur un certain nombre des composantes qui ont fait le succès de Jean-Pierre Melville : l’amitié entre truands, ce chien de hasard qui aime jouer son salopard, des flics ni...

Par

le 27 janv. 2016

12 j'aime

5

Bob le flambeur
JeanG55
8

Bob le flambeur

Enfin, j'ai réussi à mettre la main sur ce film que j'ai vu il y a si longtemps. Bon, d'accord, c'est un import anglais dans une VF avec sous-titres anglais … Pour rigoler, avouons que les...

le 25 mars 2024

11 j'aime

2

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime