Bobby
6.3
Bobby

Film de Emilio Estevez (2006)

Un peu plus tôt cette semaine, j'ai découvert JFK, d'Olivier Stone. J'ai trouvé ce film de presque 3h magnifique et passionnant, quasiment une leçon de cinéma à lui tout seul. Rangé sur l'étagère, prêté par un ami, attendait Bobby, réalisé par Emilio Estevez. J'y ai vu une suite logique parfaite, dans la thématique des assassinats politiques américains.


Déception : n'est pas Oliver Stone qui veut !


“Arnaque au sujet", je tiens l'expression d'un ami directeur de festival (bonjour Rémi !). Je l'ai toujours trouvée très vraie, et j'en ai fait une catégorie cinématographique à part entière. Les "arnaques au sujet" sont ces films aux thèmes tellement forts et chargés d'injustices - attentats, violences envers les communautés noires, génocides,... - qu'ils éclipsent totalement toute la valeur artistique des œuvres. Grossièrement, ce sont ces films pour lesquels on s'écrie "C'est de la merde !", mais pas trop fort, pour ne pas passer pour le raciste de service.


Je classe Bobby dans cette catégorie. L'assassinat le 5 juin 1968 de Robert F. Kennedy, en pleine campagne présidentielle américaine, alors que le candidat détient une confortable avance sur ses concurrents, est un des grands événements marquants du XXe siècle. Son élection aurait changé beaucoup de choses pour l'Amérique et le monde, grâce aux idées progressistes de Bobby sur l'égalité des Blancs et des Noirs, et sa volonté d'arrêter les frais avec le bourbier vietnamien.


La reconstitution finale de son assassinat dans l'hôtel Ambassador est remarquable, mais Bobby souffre d'un immense vide scénaristique.
Le principal problème est sans doute de vouloir suivre la journée de 22 personnes le jour J (ce n'est pas moi qui ait compté, c'est écrit sur la jaquette). Trop de personnages avec leurs petites histoires personnelles, qui rendent le film assez indigent car on ne s'attache vraiment à aucun d'entre eux. Pire, la plupart n'ont pas vraiment de trajectoire dans le film (je pense par exemple à la serveuse du bar, à la coiffeuse incarnée par Sharon Stone, ou bien à la chanteuse alcoolique).
C'est dommage car le film compte une impressionnante brochette d'acteurs, mais aucun n'a suffisamment l'espace pour développer un jeu intéressant.


Très rapidement, on a compris que leurs destins vont se croiser le soir, lors de l'attentat. Qu'elles soient victimes indirectes, ou simplement spectatrices. Mais que c'est laborieux pour y arriver !


J'entends déjà certains me rétorquer que c'est justement le parti pris du film, le "concept" : nous entraîner dans la journée banale de ces personnes banales.
Oui, mais non. Dans le petit documentaire qui accompagne le film sur l'édition DVD, on apprend que tous ces personnages sont fictifs - à l'exception du garçon de cuisine qui tient la tête de Bobby, juste après le drame.
Le personnage du chef de campagne aspirant au poste de Ministre des transports ? Inventé, à partir de l'image véridique d'un homme jetant de rage un fauteuil de l'hôtel.
Les deux jeunes fraîchement mariés ? Inventés à partir de témoignages de mariages arrangés servant à éviter la mobilisation au Vietnam de jeunes américains.
Le directeur de l'hôtel qui fricote avec la jeune standardiste ? Inventé, car qui dit hôtel dit forcément histoire adultère.
Celui d'Anthony Hopkins dans la peau de l'ancien directeur, qui n'arrive pas à décrocher et zone dans le hall ? Inventé, et comme il s'ennuie, on nous montre bien ses grandes qualités aux échecs.
Le hippie qui vend de l'acide dans sa suite ? Inventé car nous sommes en 1968, alors c'est toujours mieux d'avoir un hippie drogué (même si un tel personnage dans un hôtel de luxe est assez peu crédible).
Sachant cela, l'interminable prologue d'une heure et demi perd alors le petit bout d'intérêt qui lui restait.


Je trouve la démarche assez malhonnête. Après tout Bobby s'appuie sur une figure historique réelle, pourquoi les anonymes blessés ou spectateurs lors de l'attentat n'auraient-ils pas droit à la même recherche de vérité ?
On a beaucoup lu de critiques lors de la sortie d'Inglourious Basterds de Tarantino, sur le fait qu'il ait réinventé l'Histoire, en décidant de tuer Hitler dans le cinéma. Mais cette réécriture de l'Histoire était assumée. Ici, c'est fait en douce, sous le manteau.
Malhonnête, et aussi assez irrespectueux pour les vraies victimes autour de Robert Kennedy, dont le carton final nous apprends que "toutes ont survécu".


Côté mise en scène, on n'est pas gâté. Certaines séquences (je pense notamment au salon de coiffure) font quasiment sitcom, dans la volonté de ne laisser aucune zone d'ombre et d'éclairer tout l'espace.
Le trip sous acide des deux jeunes de la campagne électorale, avec ses effets de flous hideux, est également assez risible.
Enfin, c'est peut-être un détail mais ça m'a piqué les yeux, il y a un plan vers le milieu du film, en plein dialogue entre deux femmes, avec un effet de zoom affreux. L'effet, sensé donner une atmosphère d'urgence quasi documentaire, est par exemple utilisé à bon escient par Kathryn Bigelow dans des films comme Démineurs ou Detroit. Mais ici, et surtout dans cette séquence, cela ressemble davantage à une maladresse du cadreur.


La principale qualité du film réside dans l'idée d'avoir utilisé des plans d'archives pour toutes les apparitions de Robert Kennedy. Le sénateur n'est pas incarné par un acteur, et l'alternance des images d'archives et de séquences filmées pour l'occasion s'enchaîne plutôt bien.


Malgré sa mission de mémoire pour cet événement parmi l'un des plus tragiques du XXe siècle, Bobby est un ratage artistique et cinématographique. Dommage.

D-Styx
5
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le 28 mars 2021

Critique lue 274 fois

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D. Styx

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