Difficile de ne rien ressentir devant ce film, sur grand écran, quand on adore et admire ce groupe si important qu'a été Queen - et ce avec ou sans technicité musicale. Difficile de rester de marbre, évidemment, devant le Live Aid, qui a été saluée comme l'une des plus exceptionnelles performances de scène de tous les temps, et reconstituée ici de façon exemplaire. Seulement il semblerait que le film ne fait que ce travail : un travail facile de nous donner des frissons sur des chansons légendaires en live. Ben, oui, forcément, ça va marcher. Mais ce n'est pas un bon film pour autant.


Je n'ai pas du tout aimé ce film, et je pense que mon premier sentiment a été amplifié, par esprit de contradiction, par les applaudissements de l'ensemble de la salle à la fin (comme si on venait juste d'effectivement récolter 1.5 millions de livres pour lutter contre le VIH). Je n'ai pas été surprise, ni par des éléments de récit un peu moins "grand public", ni par la structure du film. Plus important, je n'ai pas été émue.


Bien-sûr qu'il faut saluer la performance de Rami Malek, sur la gestuelle (impressionnant), sur l'évolution de la posture du personnage, et sur les moments de scène. C'est effectivement exceptionnel. Les costumes aussi, rien à dire.


Le premier problème consiste en un choix de film qui ne fait qu'encenser la légende, avec aucun recul. Tout est fait pour présenter FM comme seulement un visionnaire, seulement un génie, avec des montages superficiels de "coups de génie" au studio.. Qui singent presque le processus de création d'une chanson comme Bohemian Rhapsody tant c'en est simplifié et toujours punchy. La présentation de l'idée au producteur, les scènes de studio, les discussions internes au groupe, tout est montré à grand coup de punchlines, en essentialisant le processus musical comme étant un éclair de génie, un instinct divin. Jamais de découragement, et jamais d'échecs dans les compositions, ni de remises en question, puisque FM est un génie avec un ego surdimentionné et seulement cela. Si certaines critiques ont mis en valeur le fait que le film donne une réelle présence aux autres membres et donc n'héroïse pas la figure de Freddie, c'est hautement critiquable au contraire ! Les trois autres sont relativement inconsistants, ne s'illustrent que par leur vie maritale classique, montrée comme très ennuyeuse, et sont à la botte du chanteur pendant une bonne partie du film. Pire, leurs compositions ne sont pas mises en valeur et le running gag de "I'm in love with my car" laisse entendre que seul Freddie est capable d'écrire des textes et que les autres sont des gros beaufs. Un peu durement loin de la réalité.


Le film trace un portait peu nuancé de Freddie Mercury, au point qu'on en vient à se demander si il était détestable dans la vraie vie : visiblement, le processus de création divin excuse tout, entre être infect avec ses amis et claquer le cul des invitées.. C'est tellement simplifié qu'on a une seule scène qui sert de mea culpa, quand il demande aux autres membres de le reprendre et est absout en 30 secondes. Du coup, ça donne un arc narratif très simplifié, binaire, qui (j'imagine) ne rend pas justice à la complexité du personnage : timide avec la certitude qu'il va changer le monde avec sa musique / prouve aux autres que c'est vrai et prend un énorme melon / fait sa classique descente aux enfers de rock star vue 100 fois / devient finalement humble avec l'annonce du SIDA.


Le second problème, c'est le choix du montage musical.. Franchement, de même, c'est pas difficile de donner une impression de fluidité et une satisfaction avec des chansons pareilles ! De nouveau, en revanche, ça cache une certaine pauvreté dans le récit et un sacré manque d'imagination. Des moments faciles, tellement faciles, en illustrant des scènes décisives de sa vie avec le morceau qui l'incarne exactement dans les paroles. D'ailleurs, on voit la faille de l'écriture de ce film : dès qu'ils n'avaient pas cette concordance parfaite entre une scène digne de disney / une chanson illustrant parfaitement cette nouvelle phase de vie, il fallait la reconstruire artificiellement en prenant (il me semble) des libertés avec les faits. L'exemple en est le Live Aid à la fin, qui sert à la fois de point d'apothéose pour le groupe et de fin d'arc narratif sur l'humilité pour Freddie. Il a fallu qu'ils mettent juste avant une scène larmoyante sur son annonce du VIH + son diagnostic qui est un moment charnière pour lui. Ainsi, dans le film, on est implicitement dans l'idée qu'il chante en 1985 comme si c'était son dernier moment sur scène, c'est déchirant ! Mais si j'ai bien compris, il n'a été diagnostiqué officiellement qu'en 1987, donc réunir ces deux arcs était juste une facilité pour produire plus de drame à l'écran. Il n'y en avait pas besoin : il chante déjà comme si c'était son dernier jour sur Terre ! Tout le temps ! C'est ça qui est fantastique en lui en tant que chanteur. A poil, tous les jours, devant tout le monde, et il ne garde rien pour lui, tout est pour nous.


Troisième problème : le film tente de maitriser plusieurs plans narratifs en même temps, et c'est difficile de réussir à faire ça sur une histoire qui dure plusieurs années. A cet égard, j'ai eu un peu la même sensation qu'en voyant The Imitation Game il y a quelques années : c'est difficile de faire un film qui couvre une période de 20 ans et qui parle de la Seconde Guerre mondiale, de l'histoire de l'espionnage, de l'histoire sentimentale et sexuelle d'un jeune homme à une époque complexe, du traitement de castration chimique imposé aux homosexuels à l'époque et enfin de la vie avec une forme d'autisme. Ca fait trop : on sort du film en ayant l'impression de maitriser les techniques cryptographiques du 20ème siècle et d'avoir mené une réflexion sur l'homophobie, mais on a tout vu de façon extrêmement superficielle. Bohemian Rhapsody, c'est un film qui ne fait pas suffisamment de choix - être un artiste en rupture avec ses origines - un groupe qui devient une légende - la vie d'un groupe avec les relations humaines qui les relient - être une star et homo dans les années 80 - la vague du sida.. Tout en devient superficiel, mais surtout ça entache notre exploration de l'intériorité des personnages (exploration inexistante) et les dialogues. La consécration de la musique dans le film ne permet pas d'oublier ces dialogues oh combien pédagogiques et convenus. On a aucun aperçu de ce qui se passe pour les autres membres, ils font de la figuration. On a aucune idée de ce pourquoi ces quatres là continuent de jouer ensemble, ce qui les relie (sauf la certitude d'écrire l'histoire de la musique en marche !). Que partagent-ils ? Que se disent-ils ? Sont-ils amis ? On doit se contenter de scénettes cocasses proches d'une vieille sitcom, avec des blagues et des batailles de nourriture. C'est vraiment sur ce traitement là du groupe qu'on voit que le film se situe du côté de la légende photogénique. Plusieurs fois, on a ces pep talks insupportables, qui se finissent toujours bien, avec les yeux humides des autres membres qui se rallient finalement à sa cause. De même, la résolution larmoyante du conflit avec le père est absolument parfaite, pour que cet arc puisse être fermé à temps avant la fin du film - digne de la réconciliation entre Ariel et Triton. Mais surtout, surtout, le personnage de sa femme est bien inconsistant. Et je parle bien du film, parce que sa position et sa personnalité semblent plus qu'intéressantes et importantes. Mais honnêtement, si lisse (peut-être la ressemblance de l'actrice avec Emma Roberts a troublé mon jugement), si spectatrice, si peu explorée.. Il faut bien admettre qu'en étant la partenaire d'un artiste comme l'était FM à l'époque, on devait être un peu spectatrice, c'est inévitable. En revanche la Mary Austin qu'on connait (un peu) des reportages et témoignages qui ont été laissés semble autrement plus profonde et perceptive. On le voit un peu au début : j'ai bien aimé cette image de la jeune femme qui l'encourage à se maquiller, à s'éveiller, avec une absence de jugement merveilleuse. En revanche, l'intérêt d'ajouter cette remarque qu'elle fait sur les hommes de sa vie qui ne la choisissent jamais vraiment, ou comme quoi Freddie lui rappelle son père juste avant de partir sous la pluie.. Merci bien. De même, sur le personnage de Freddie, son glissement vers la fréquentation des milieux gays de l'époque n'est pas du tout explicitée, on ne sait pas ce qu'il pense de tout ça, tout ce qu'on a c'est un espèce de montage sur fond rouge avec un mec masqué de latex pour symboliser sa nouvelle phase de vie débauchée - en fait, je crois que c'est ça que j'ai pas trop aimé, jusqu'à la toute fin, l'homosexualité (ou la bisexualité) de Freddie, ce n'est montré que sous l'angle de la fête, que l'excès, de la débauche. Encore une fois, pas d'accès à l'intériorité du personnage.


Enfin.. toujours un peu particulier de faire un film contenant des scènes de concert avec un autre acteur que le chanteur (et de filmer ces moments de l'exacte même manière que la scène historique). De ma perception, de ce qui m'a touché de FM, c'est que c'est avant tout un chanteur, un grand chanteur, et je trouve qu'on ne voit pas assez le chanteur ici, juste la bête de scène.


Le choix de Don't stop me now pour la fin.. Je comprends mais j'aurais préféré In my defense, qui me semblait mieux conclure sur le chanteur ET l'homme, que celle-ci qui conclut sur le performer.


Alors voilà.. On passe pas un mauvais moment.


Le problème, c'est que je voulais voir tout le reste, pas la bête de scène à laquelle on est déjà tous acquis.

Mirmidon12
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le 5 nov. 2018

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Mirmidon12

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