Joe Gillis,scénariste hollywoodien minable et fauché,est traqué par des recouvreurs de dettes missionnés par ses créanciers.Il tente de leur échapper au volant de la voiture qu'ils veulent saisir et se cache dans une propriété abandonnée de Sunset Boulevard.Pas si abandonnée en réalité,car elle est occupée par Norma Desmond,ancienne star du cinéma muet dont la carrière a été brisée par l'avènement du parlant,et son énigmatique et dévoué majordome Max.Cette rencontre semble de prime abord providentielle pour les deux personnages.Norma,actrice oubliée et femme vieillissante,trouve en Joe tout ce qui lui manque:un scénariste et un homme plus jeune et assez pauvre pour dépendre d'elle.Gillis est également satisfait de l'arrangement car il est sans boulot et criblé de dettes,la fortune de la dame pouvant le sortir de la mouise.Ce qui commence comme une relation professionnelle,Norma veut faire un come-back avec un scénario qu'elle a écrit et que Joe retravaille,se transforme au fil du temps en liaison amoureuse.Mais le pouvoir va progressivement changer de camp car la comédienne,dominatrice au départ du fait de sa position financière supérieure,s'éprend du scribouillard alors que lui n'éprouve pour elle que de la reconnaissance et une certaine tendresse.Il va peu à peu se détacher d'elle pendant qu'elle s'attache et s'accroche à lui,et tout cela va très mal finir.Billy Wilder,un des grands réalisateurs américains,est au sommet de son art avec ce film légendaire qu'il a coécrit avec Charles Brackett et D.M. Marshman Jr..La munificence technique de "Sunset Boulevard" est saisissante,avec un soin extraordinaire apporté à tous les stades de fabrication.La mise en scène de Wilder bien sûr,qui est d'une élégance,d'une fluidité et d'une efficacité imparables.Mouvement d'appareils savants,prises d'angles inspirées,cadrages de grande classe,exploitation superbe des contre-plongées et de la profondeur de champ,c'est un régal visuel constant.Et c'est soutenu par le magnifique noir et blanc de la photo de John F. Seitz,les décors étranges et incroyables signés Hans Dreier,John Meehan,Sam Comer et Ray Moyer,plus l'énergique musique atmosphérique de Franz Waxman.Tout ceci crée une ambiance unique,à la fois cool et inquiétante,dans laquelle le cinéaste nous immerge avec une diabolique habileté.On ressent presque physiquement l'étouffement que subit Gillis,quasiment séquestré dans cette immense demeure luxueuse par une maîtresse jalouse et possessive,ainsi que son soulagement lors de ses échappées en ville à l'occasion d'un réveillon avec ses amis d'avant,de joyeux drilles de son âge,ou lors de ses séances d'écriture nocturnes dans les studios déserts de la Paramount en compagnie d'une charmante lectrice avec qui s'installe une attirance mutuelle.Le film est protéiforme et relève de plusieurs genres,l'exercice méta sur le milieu du cinéma,le drame,le mélodrame,le psychodrame et même le polar noir.Ce mélange a priori hasardeux fonctionne de manière miraculeuse par la grâce d'un script d'une fabuleuse rigueur et d'une stupéfiante créativité.Wilder nous convie là à un nostalgique adieu au vieil Hollywood,celui des origines,celui du muet avec ses acteurs cantonnés pour s'exprimer à leurs regards et leurs expressivités faciales,celui des fortunes amassées et dilapidées,des soirées de folie,des mariages vite transformés en divorces et des stars immortelles,on cite ici John Gilbert,Mabel Normand,Rudolph Valentino,Greta Garbo,tandis qu'apparaissent dans leurs propres rôles ceux que Gillis appelle les figures de cire,les impassibles joueurs de bridge Buster Keaton,Anna Q. Nilsson et H.B. Warner,tels des fantômes hantant les manoirs de Beverley Hills.On sent le poids de l'impitoyable temps qui passe,qui change tout,qui précipite dans les limbes de l'oubli les idoles d'hier et délabre les villas de luxe,leurs piscines et leurs cours de tennis pour en faire des vestiges désolés d'un passé révolu.Mais le film ne s'arrête pas là et dénonce aussi ce miroir aux alouettes qu'est le monde du spectacle,qui attire irrésistiblement tant de candidats à la fortune et à la gloire,pour ne garder finalement que si peu d'élus pour trop d'appelés.Si Joe est dans cette situation,c'est qu'il s'est comme tant d'autres brûlé les ailes à Los Angeles et qu'il n'a jamais pu réaliser ses ambitions.On pense à ces très bonnes chansons françaises que sont "La vallée des poupées" de Sardou et le "So far away from L.A." de Nicolas Peyrac,dont les auteurs ont sans doute vu "Boulevard du crépuscule".Mais l'oeuvre n'est pas pesante pour autant,Wilder n'oubliant jamais son ironie et son cynisme,auxquels il laisse libre cours par le biais de la voix off de Gillis,une des meilleures de l'Histoire du Cinéma,qui commente ses mésaventures avec une sorte de détachement résigné et une bonne dose d'humour.D'ailleurs la cruauté s'invite volontiers avec la dinguerie de Norma,une vedette qui n'a jamais digéré son déclassement et croit fermement pouvoir revenir au sommet d'une industrie qui ne veut plus d'elle depuis longtemps.Elle s'illusionne sur elle-même et sur les autres,refusant de voir en face la sinistre vérité.Son scénario ne vaut pas un clou,elle a largement passé l'âge d'incarner Salomé,son amant se voit comme son prisonnier,son majordome entretient sa folie en inventant des fans disparus depuis belle lurette,et pourtant elle croit à fond à tout ça.La scène la plus pathétique est celle,sympathique au premier degré,qui la voit débarquer à la Paramount,dans le studio où son vieil ami Cecil B. DeMille tourne "Samson et Dalila".Beaucoup de vieux techniciens sont là et la reconnaissent,tout le monde l'entoure et lui témoigne de la bienveillance,mais elle ne se rend absolument pas compte que ces gens la traitent comme un souvenir de leur passé et que personne n'imagine ni ne souhaite la voir revenir devant les caméras,contrairement à ce dont elle est persuadée.Incidemment,cette séquence montre également l'inégalité existant entre ceux qui sont à l'écran et ceux qui sont derrière la caméra.Le vieux DeMille tourne encore,mais ses actrices d'autrefois sont périmées,dictature de la jeunesse et de la beauté oblige."Sunset Boulevard" récoltera onze nominations aux Oscars,et seulement trois statuettes pour les décors,la musique et le scénario.La distribution est phénoménale,avec un William Holden dont le charme viril et la décontraction laissant progressivement place à la tension du gigolo malgré lui éclaboussent l'écran,tout comme l'énorme numéro d'une Gloria Swanson,ex star du muet jouant quasiment son propre rôle.D'ailleurs elle ne travaillait plus beaucoup avant "Sunset" et on ne la reverra guère après.Autre vétéran du ciné,le grand Erich von Stroheim crève l'écran en factotum dont on apprendra tardivement la véritable identité et les raisons de son dévouement à la star déchue.La très mignonne Nancy Olson irradie de charme et de luminosité en aspirante scénariste à la fois naïve et déterminée,et sa scène de rupture avec Holden est fantastique.Outre les personnalités citées apparaissent en tant qu'eux-mêmes l'acteur Henry Wilcoxon,qu'on aperçoit sur le plateau de DeMille,et l'ex comédienne devenue échotière avide de cancans Hedda Hopper,qui mourra bizarrement le 1er février 1966,le même jour donc que Buster Keaton qui est aussi dans le film.

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