Extrêmement banal et incroyablement tiède
Boyhood est de ces films pour lesquels il convient de différencier le fond et la forme.
Je ne peux ignorer l'immense respect que m'inspire le travail de Linklater. D'un projet ambitieux, il a livré un ouvrage fini, et cohérent.
Impossible de ne pas en tenir compte, tant nombre de concepts alléchants sur le papier ont terminé aux oubliettes, tant la variété des risques et des causes d'échec est grande. Le Dune de Jodorowsky, le Don Quichotte de Gilliam, même l'Imaginarium de ce dernier terminé aux forceps. Je ne vais pas refaire la longue liste des chefs-d'œuvre potentiels avortés.
À défaut d'être un chef-d'œuvre, Boyhood est achevé.
Et puis il a ses qualités. Certains plans, inspirés même si parfois un peu sages, viennent insuffler un peu de vie dans ce film par ailleurs relativement plat.
La caméra, stable, reflète la vie bonhomme des personnages, interprétés par des acteurs dans l'ensemble remarquables, si l'on tient compte du pari fou pris par le réalisateur, notamment sur les enfants.
Le film est long, probablement trop long, mais ne gâche pas non plus l'incroyable performance artistique et technique. Très honnêtement, c'était tenable en deux heures pour ce qui y est raconté, mais très honnêtement je n'irais pas jusqu'à dire que l'on s'y ennuie.
C'est probablement l'un des plus gros défauts du film. Il n'ennuie pas, mais il n'exalte pas non plus. En fait, on ne ressent pas grand-chose devant cet étalage de poncifs.
La philosophie de comptoir et les réflexions existentialistes primaires, les atermoiements d'un enfant puis adolescent marginal (mais pas trop quand même) qui se révèle fade -voire irritant par moments- comparativement à la promesse de l'affiche et des premiers plans, la vie sentimentale houleuse de sa mère où la répétition tient la vedette, tout est prétexte à l'enchaînement de clichés usés jusqu'à la corde.
Jusqu'à la musique, toujours un élément vital pour moi, tout droit tirée du manuel du parfait petit film indépendant. Des mélodies passe-partout, un peu de Coldplay. Oh, impossible de nier que ça fait écho à certaines choses que l'on écoutait, au choix, à l'époque ou à cette période de notre vie. Mais dans la globalité ça sonne un peu facile, un peu -trop- timide.
Vraiment, là est la grande faiblesse de Boyhood. C'est un film qui recelait tellement de richesse potentielle, tellement de promesses d'immersion, nous livrer entièrement la vie de personnages que l'on suivrait sur une longue période de leur existence.
Des bouts de quotidien on en a, voire à l'excès, indéniablement Linklater retranscrit parfaitement la banalité inhérente à la plupart de nos existences. Mais il a oublié tout le reste. Ce qui fait notre individualité, ces petits riens du quotidien qui comptent pour chacun.
J'ai par exemple nourri de grands espoirs dans la scène où les quatre enfants se retrouvent dans une chambre pour discuter de leur (beau-)père alcoolique et violent. La vision qu'a chacun, enfants naturels ou issus d'une famille recomposée, ce dialogue qui s'établit en essayant de comprendre, d'exprimer des sentiments compliqués. Cette scène est belle. Elle aurait également pu être poignante et, une fois n'est pas coutume, un peu plus longue.
Mais, à l'instar de beaucoup de choses dans ce film, le réalisateur se contente paradoxalement d'effleurer. Il avait tellement de temps, que ce soit dans la "vie réelle" ou dans sa narration de 2h45, et on ressort avec l'impression qu'il a survolé son sujet. Énorme frustration.
Je ne peux que paraphraser @Before-Sunrise : le film ne présenterait pas grand intérêt si on lui retirait ses acteurs uniques, et vieillissant devant nos yeux. Mais cela s'arrête bien là, parce qu'ils n'évoluent pas, ou peu.
Ma façon de le dire, c'est qu'il est exceptionnellement banal et extrêmement tiède (je préfère cette juxtaposition d'adverbes et adjectifs contradictoires, on me pardonnera j'espère la variation du titre de la critique...).
En plus, on ne peut retirer à Linklater son honnêteté et sa constance. La trilogie des "Before" l'a montré, il aime les morceaux d'existence et les films très verbeux. Seulement, là où dans cette dernière on effectuait des sauts de puce jusqu'aux moments significatifs de la vie des deux personnages principaux, Boyhood, contraint par la chronologie, "doit" se "contenter" de certaines tranches de vie.
Et, c'est là en revanche son choix, il prend le parti de n'introduire ni drame ni suspens d'envergure. Je respecte sa décision, mais je ne peux pas dire que ça m'a captivé. Le film est impossible à détester, en fait il a tellement peu d'aspérités et tellement peu d'enjeux qu'on le vit avec calme, un peu comme ses protagonistes.
J'avoue avoir des sentiments mitigés. J'aimerais lui en vouloir, d'avoir ainsi gâché une occasion unique et un énorme potentiel. Et pourtant il se dégage de ce métrage une telle sérénité (parfois paradoxale, au vu de certains événements) qu'on ne peut guère le recevoir qu'avec bienveillance.