Le temps est fascinant. D'autant plus face au constat de l'évolution qu'il rythme tout en restant constant. C'est souvent dans ces histoires de vie simples et riches à la fois que le 7eme art est le plus généreux et sincère dans les sentiments. Pour autant c'est extrêmement rare que le cinéma retranscrive franchement l'attachement au fil du temps. En cela "Boyhood" est une double réussite, récit touchant et vrai qui s'étend tendrement avec des références universelles et marquées.

Chaque vie est une traversée de périodes éphémères. Retrouvailles, nouvelles connaissances, moments déroutants. Ces ingrédients pleins de surprises font la beauté d'une vie guidée par un fil commun et une compagnie fidèle. Comme avec la série des "Before...", Richard Linklater s'appuie sur le temps pour accentuer notre empathie à l'égard de ses personnages. La continuité fonctionne encore plus que l'épisodique. Les conditions exceptionnelles de tournage apportent une authenticité fabuleuse à cette traversée des années.

Baser un scénario sur douze années et le tourner en autant de temps pour le bien de la cohérence est à la fois brillant et exigeant. Un pari osé qui a probablement effrayé beaucoup de monde. Le simple fait d'avoir mené ce projet à bien est une performance incroyable. Il résulte de ce pari un vrai coup de génie.
On est en admiration face à la simple transformation de l'âge. Ça devient plus évident sans besoin d'artifices, tel maquillages et perruques. Néanmoins l'étendue du tournage ne simplifie pas nécessairement l'écriture. Comme leurs rôles, les comédiens évoluent et il est difficile de l'anticiper. Au-delà du simple fait de réunir les concernés très régulièrement, il faut s'adapter aux aspects et aux ressentis de chacun. Il ne pouvait pas y avoir de doute sur la linéarité physique au fur et à mesure de l'avancée, c'était une toute autre mission que de garder une cohérence dans le récit. Là encore, "Boyhood" ne dévie jamais de sa bonne trajectoire. En préservant une grande curiosité, les histoires se lient avec logique et les personnages évoluent avec harmonie.

Les aventures familiales se répondent au fil du temps. Les moments forts de séparations, de disputes ou de violences sont traités avec toutes la force qu'ils nécessitent et marquent ainsi la personnalité de ses protagonistes. L'âme d'artiste de Mason et le ton maussade de sa sœur Samantha mûrissent avec une franche évidence. Les précisions du scénario et du jeu apportent tout les éléments propices à la sollicitude. Le récit s'intègre parfaitement dans un univers familiers de tous.

La relation des personnages avec le monde réel est saisissant. Il y a tout un tas de références qui nous permettent à la fois de situer temporellement l'histoire et de s'y reconnaître.
D'abord des références pop; un bel hommage à "Harry Potter" avec la lecture d'un extrait du deuxième tome et la scène (très chouette) de la sortie du "prince de sang-mêlé", des allusions à Star Wars ou aux Beatles qui sentent la vraie passion. Avec la bande-son très travaillée, ces allusions permettent de dater assez précisément les événements. L'évolution de l'informatique et des consoles est aussi très présente.
Ensuite des références politiques. Axé autour des campagnes de 2004 et 2008, le propos est très engagé. Mason Sr (Ethan Hawke) est un militant anti-républicain avec un franc parlé, trop peu entendu dans la culture américaine. Ses convictions donnent aussi des moments amusants lorsqu'elles entraînent ses enfants. "Boyhood" est une suite de rencontrent qui dressent un portrait éclectique de l'Amérique. Du professeur pas si respectable à la famille de Texans pas fine mais follement généreuse en passant par le militaire aux belles paroles, ces personnages (et les autres) cassent les préjugés. Plusieurs visions de l'Amérique, profonde et dynamique. Le vice et la violence se trouvent dans un personnage qu'on croit bien éduqué, la bonté et la générosité se dégagent d'une famille qu'on qualifierait d'arriérés.

Le pari fou de Linklater est une évidente réussite. Un parcours familiale plein d'authenticité qui montre une Amérique humaine qui suit le cours du temps. Très belle histoire de vies, ponctuée par une réplique très juste « Ce n'est pas nous qui saisissons le moment, c'est les moments qui nous saisissent ».

Créée

le 7 sept. 2014

Critique lue 531 fois

6 j'aime

Adam Kesher

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