Humour, amour, étrangeté et tragique

Je sais bien qu'il s'est fait de meilleurs films dans l'histoire du cinéma (Tarkovsky, Antonioni, Kubrick ...) mais celui-ci garde une place très spéciale dans mes préférences pour ses thèmes, ses rêves, son humour et son rythme ; il a quelque chose de plus attachant que les grands chefs-d’œuvre, un esprit plus léger, tout en étant une merveille.

La richesse de Brazil vient tout d'abord du fait qu'il allie plusieurs thèmes, plusieurs esprits. Tout d'abord, selon la légende, le projet du film est venu à Terry Gilliam en sortant du film 1984, qu'il a trouvé raté, à côté de l'esprit du livre. Le récit prend donc place dans un régime totalitaire dominé par la bureaucratie, le personnage principal, Sam, faisant partie, comme Winston Smith, de l'administration. A cela s'ajoute une touche kafkaïenne, qui fait largement différer de 1984, livre où tout est logique, contrôlé par une haute puissance, alors qu'ici rien ne fonctionne, il y a des tuyaux partout, tout est sale, personne n'est compétent ; l'histoire du film se déroule à cause d'une mouche morte tombé dans une machine à écrire, ce qui a entraîné un changement de lettre, de Tuttle à Buttle, avec pour suite une mauvaise arrestation, la mort de l'innocent, puis l'emballement de l'histoire. Enfin, le troisième univers imbriqué est la touche de Gilliam, son travail sur le rêve, qui permet à Sam de s'échapper de ce monde bureaucratique qu'il hait, et son humour que l'on sait ravageur (dans une autre vie, Gilliam était le réalisateur des Monty Python avec Terry Jones) et qui vient à la fois adoucir le tragique, ou alors le rendre plus éclatant, tout en cultivant l'étrangeté des situations. Brazil tire sa force de sa capacité à allier rêve, scènes de grande beauté, rythme effréné (car Gilliam doit suivre les contraintes hollywoodiennes), humour, amour, effrayant et tragique.

Brazil est tout simplement beaucoup plus humain que 1984 ou Le Procès, humanisme permis par la grande performance de Jonathan Pryce, parfait en Sam Lowry, rêveur amoureux, pressuré entre sa mère qui accumule les chirurgies esthétiques, son patron incompétent qui remet tout sur lui, le serveur qui le hait, son voisin de bureau qui ne fait que tirer la table de son côté, mais aussi fasciné par Harry Tuttle, plombier aventurier et subversif, interprété par un Robert de Niro donc on ne voit le visage qu'une demi-seconde, et fou amoureux de Jill, la femme dont il rêve toutes les nuits, dans un grand délire chevaleresque, avant même de l'avoir rencontrée.

Au niveau des grandes forces esthétiques du film, certaines scènes et certains détails claquent, ont une puissance indéniable. Pour les plus notables, je noterai la première scène filmée dans le bureau des fonctionnaires, filmé dans un travelling à la Kubrick ; le fait que le bureau est filmé comme les tranchées dans Les Sentiers de la Gloire est révélateur. Mais aussi les scènes dans les rêves de Lowry, avec cette esthétique décalée, pas du tout réaliste, avec des effets spéciaux cheeps, surprenants mais très forts. Mais surtout les dernières minutes, l'enchaînement splendide de la fin : la disparition de Robert de Niro sous les papiers qui viennent le happer et le mangent, faisant retourner le héros des rêves à l'oubli ; et la chute dans le cercueil, la traversée de la mort à travers le rêve.

Je ne saurais donc que vous conseiller de voir ce film qui fait plaisir, possède une histoire d'une richesse incroyable, tout en étant accessible pour tous. Un grand rêve, un appel au rêve, et un grand morceau de cinéma.

Créée

le 2 janv. 2014

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