Bertrand Blier s’est toujours demandé comment il avait réussi à écrire ce scénario en deux semaines… comme une équation parfaite…
On y retrouve un aspect de sa personnalité avec Gérard Depardieu qui a été sa muse pour ce film. Il a tout de suite pensé à lui en écrivant ce film; la tonalité du film ne pouvait se faire pour lui qu’avec un acteur comme Gérard Depardieu car c est un homme capable de faire des choses comme ça car il a cet espèce de déraison qu’il fait très bien passer au cinéma. C’est un croquis d acteur.
Il y a très peu de place pour les femmes. Elles sont tuées rapidement pour qu’elles ne nuisent pas à la progression du récit, ironise le réalisateur en fumant sa pipe.
Il n y a pas d’histoire avec de progression narrative, il n’y a rien de tout ça. Si le départ est passionnant, le reste est une enquête sur cette première scène. On part dans des directions inconnues, dès que cela devient raisonnable, on met à la poubelle et on garde tout ce qui est timbré.
Bertrand Blier faisait en effet un cauchemar vers l’âge de 30-35 ans, il rêvait qu’il se faisait poursuivre par la police (Depardieu l’incarne dans le film) et il se réveillait toujours au moment où il se faisait attraper. Son crime n’était pas dans le rêve, il y avait seulement la poursuite, avec cette peur épouvantable d’être coffré et il s’en est servi pour son film car quand les journalistes l’interrogent, il faut bien dire quelque chose d’amusant!
Le seul problème était de trouver le pognon. Blier a tapé à pas mal de portes (beaucoup de portes d’ailleurs dans le film) et les producteurs qui le connaissaient déjà avec les valseuses lui répondaient : « vous avez vraiment beaucoup de talent, ne faites pas ça, allez vous aérer à la campagne ou à la mer et vous allez voir tout va se remettre en place. Il fallait sauver mon talent sur ce faux pas que j’allais commettre »: Cf scène du flic conseillant à son patron incarné par Blier père de se mettre au vert… ou l’autre scène: « allez viens, tu déconnes complètement », dit Depardieu à Blier père quand il tire partout dans le manoir… Le financement s’est déclenché après qu'il ait eu finalement l'Oscar pour « préparez vos mouchoirs », il a pu braquer, à ce moment là, les producteurs.
Les décors sont faits en studio et le reste est improvisé à partir du scénario avec aucun problème d’acteur. La première scène du film avait d ailleurs été tournée avec un autre acteur beaucoup moins connu, et non Michel Serrault, mais cela n a pas fonctionné et la scène a été alors mise de côté, l’idée est venue après de faire tourner Michel Serrault. Il a réalisé alors que ces scènes ne pouvaient être jouées que par des fous sacrés, des monstres sacrés du cinéma.
La musique devient même un attentat contre ce qu’aime le réalisateur. Il faisait un film sur le thème de l’assassinat donc il a pensé qu’un assassinat pouvait être aussi un assassinat culturel et cette idée que la musique pouvait vraiment foutre le moral a zéro et être détestée par des gens, et donc pourquoi pas faire des musiciens presque assassins: l’archet du violoncelle devenant l arc.
C’est froid partout, même le meurtrier tue froidement et passe à autre chose, c est une forme d humour noire car c est tellement merveilleux de tuer des gens au cinéma et le point final à la campagne avec des personnages qui préfèrent le béton est très marrant, c’est très français de n’être jamais content de ce qu’on a, le râleur dans toute sa splendeur qui peut s emmerder dans la nature quand il y est et préférer le béton, et inversement. Blier ne s’est jamais demandé pourquoi et comment il avait écrit ce film, c’est une sorte d’écriture automatique où on sait à chaque scène quel changement va se produire, c est évident qu’un inspecteur de police va libérer les criminels pour emprisonner les innocents, on retourne tous les postulats, une expérience qu’on ne peut faire qu’une fois.
Les personnages sont un peu paumés et souvent très cons mais pris par moment dans des lueurs d’intelligence éblouissante, ce qui est joli, c est de voir des imbéciles qui décrètent d’un coup des choses très importantes, ça c est merveilleux. Les femmes sont aussi barjots, un peu moins que les hommes, ici souvent ce sont les personnes les plus mûres et comme souvent cela parle d’hommes qui ne comprennent rien aux femmes… en s’amusant énormément avec cette position de macho, qui est pour Blier, une des positions les plus bêtes qui soient, comme dans les valseuses, ces hommes qui parcouraient la France entière pour trouver un cul…
Et ce qui est réconfortant dans ce film, c’est qu’à la fin, il ne reste que la mort... une fin évidente et morale, Carole bouquet incarnant cette mort attendant le dernier criminel et qui le tue.
Petite anecdote pour la scène du lac : Blier père etait aquaphobe, et Blier et Depardieu sur une barque, c’était pas très rassurant, surtout que Depardieu était sorti la veille, n’avait pas beaucoup dormi et était ce jour là du coup agité et le réalisateur s’est alors demandé que c’était quand même bizarre de vouloir tuer son père dans cette scène, noyé, alors qu’il était aquaphobe, mais son père était aussi fou que lui et ils avaient tous les deux qu’un truc en tête: faire un film et quand le travail commence, plus rien n’existe, et ça il l’a hérité de son père: Blier Père« fais pas le con, je ne sais pas nager… », Depardieu: « tu ne sais pas nager? tu n’aurais jamais du me dire cela, parce que je vais te pousser… », « mais non… », « mais si…" et Blier père à l’eau…
On parle Maintenant d’un film culte mais Blier n'a gagné à l’époque que trois sous, avec certains spectateurs qui voulaient même se faire rembourser la place. C'est un film qui ne ressemble à rien dans le cinéma français, on pourrait le comparer au film « le charme discret de la bourgeoisie » qui est un film tout aussi absurde.
« C’est très facile le cinéma quand les choses prennent mais elles prennent rarement c’est comme la mayonnaise. J’ai tout dit pour buffet froid sauf les choses que j’ai moi même pas comprises. Cela ne m’est arrivé qu’une fois dans ma vie de m’enfermer comme ça et d’écrire un scénario en quinze jours… effet de surprise… chance… inexplicable… »
Bertrand Blier

Meladaily
9
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le 11 févr. 2020

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