Belle oeuvre que ce Bunny Lake, film insaisissable, manipulateur qui se joue de son spectateur du début à la fin, posant dès le générique d'intro les bases d'un jeu de piste dans lequel ce dernier se perd immédiatement. C'est bien simple, aucun répit n'est de mise, on ne cesse, pendant toute la bobine, de changer d'avis sur ce qui nous est proposé. Qui est cette Bunny Lake, qui dit la vérité, qui ment, y a-t-il une vérité ?

Tant de pistes qui pourtant dès le début semblent claires comme de l'eau de roche, si claires que l'on se prend à se moquer d'un réalisateur, tant ses intentions, dans la première partie de son film, nous paraissent si lisibles. Mais rapidement, ce qui nous semblait limpide commence à se troubler et c'est devant une fontaine abandonnée que nous nous retrouvons confrontée. L'eau n'est plus potable, impossible de distinguer le moindre carreau d'une éventuelle mosaïque de vérité. Si le film réussit ce tour de force, c'est indéniablement parce que les acteurs sonnent justes mais c'est surtout grâce à la réalisation inspirée de Preminger. Ce dernier prend son temps pour construire une ambiance ambiguë avec une galerie de personnages si versatiles et marginaux qu'aucun d'eux ne semble être irréprochable. Dès lors, on s'enferme dans une espèce de paranoïa magistralement amplifiée par des décors dénués de lumière. Que ce soit l'école, qui est d'entrée repoussante, les pièces y sont petites et peu éclairées, l'appartement d'Ann, hanté par un personnage peu rassurant, chaque lieu a quelque chose d’oppressant. Seule la scène dans le coeur de l'Angleterre semble plus sereine, l'histoire étant suspendue, le temps d'un verre, au moment où le barman change de chaîne à la télé.

Le dénouement est assez subtile et fonctionne parce que Preminger à distillé avec habilité les pièces d'un puzzle qui s'est construit en silence. Le twist final peut alors prendre place pour continuer son sadique travail de torture jusqu'à porter le coup de grâce aussi simplement qu'un coffre s'ouvre. Bunny Lake est un film intelligent, très beau graphiquement parce qu'il sait rester honnête dans son dénouement. Jamais ne se fait ressentir l'impression d'avoir été trompé et pourtant difficile de ne pas être surpris par la tournure des événements. C'est là tout le talent de Preminger qui signe certainement ici l'un de ses films les plus réussis.
oso
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le 17 févr. 2014

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