Trois heures de démoulage et pourtant rien de concluant

Évidemment un tiers en moins aurait fait le plus grand bien, mais les parties sont équilibrées et les deux tomes de 1986 étaient déjà trop longs. Le problème est ailleurs : ne craignez surtout pas un repas copieux, ce Chapitre 2 pêche par excès de prudence. Il est plus gore que son prédécesseur au succès phénoménal et pour le reste, l'égale ou régresse, spécialement sur l'originalité et l'écriture où il se contente de la décence minimale.


Par rapport au livre, le film diffère peu sauf pour la conclusion. Il accentue les grosses réussites des membres du club (plusieurs sont en mesure d'imposer leurs caprices), tous plongés en milieu urbain, sauf le black resté à Pennywise et celui qui ne les rejoindra pas – on braque la lumière sur les aventures du premier (sans mention de sa 'lose') et sur la faiblesse du second. Celui-ci n'y perd pas, surtout par rapport à ses camarades qui au fond n'ont que leurs enveloppes pour briller (même si l'ex-gros a une meilleure trajectoire, elle paraîtrait insignifiante sans ses deux interprètes). Le film est plus propre envers Stan, le citant toujours avec compassion malgré un peu de condescendance. Dans le livre, adulte, il est simplement terrassé par la peur et son suicide n'a pas de raisons altruistes.


Le scénariste se préoccupait de ne pas alourdir le programme ; d'où cette progression narrative très douce (ou cette inertie bien garnie), ce défilé haché. Aucun arc narratif solide ne vient épaissir la trame principale, qui aurait pu se résorber en trois temps rapides (retrouvailles et prise de conscience, préméditations, affrontement : un moyen-métrage pouvait contenir tout ce qu'il y avait d'essentiel et de fort, sans constituer une menace pour les cardiaques). Le recul devrait seulement faire germer des mises au point et réflexions décevantes dans l'esprit des spectateurs ; à moins que ce Chapitre 3 ne sache rebondir sur les nombreux éléments ou éclaboussures graphiques de ce qui n'aurait dû être qu'un appendice du premier, voire son final.


La réalisation peine à passer à l'offensive. Les préparations et histoires entre eux ou en eux prennent toute la place, or l'approche est très pudique. Donc au plus loin il n'y a que cette amourette entre la fille et son élu, avec un crochet potentiel auquel on doit pouvoir croire quelques secondes à condition d'être d'humeur à coopérer. Et au plus profond, des sous-entendus concernant Richie, ou la lutte dans la cave inondée (seule allégorie dépassant le stade du détail). À nouveau il y a ces hontes sur lesquelles le clown joue, mais le film ne se soucie pas de conflits, ni d'en ajouter à ce que le synopsis a déjà inscrit. Donc il meuble habilement, mais inévitablement piétine et n'atteint jamais un niveau d'intensité très élevé. Avant la tardive contre-offensive (aux alentours puis suite à la scène bancale avec l'obèse) la séance est même sujette à des flottements, jusqu'à un possible bug de montage (sans transition nous voilà avec Ed dans la scène du couteau). Elle prend presque trois heures (de nos vies) et ne sait pas amener le dénouement, justifier ses spécificités (ce n'est pas qu'on ne l'amène pas correctement : on semble carrément avoir oublié de s'en occuper). Conséquence, un 'rabaissement' express encore plus incongru que le fait que toute la troupe n'ait pas déjà été éventrée. Notre monstre fait traîner au-delà du nécessaire et s'il s'agit de perversion, le film a oublié de l'exploiter. Grippe-Sou tient des propos cruels mais on ne le voit guère se délecter des peurs ; il s'adapte et se moque froidement quand vient l'heure. Plus distant et rigide, sans pièges sophistiqués ni discours, le croque-mitaine a perdu de sa sève en deux (vingt-sept ?) ans.


Sur aucun point ce Chapitre 2 n'est une purge mais il ne quitte les eaux basses que via la forme. Il contient de bonnes scènes d'horreur dans la première moitié, quand elles sont encore minorées par la mise en marche et un climat empreint de tristesse. La scène des biscuits porte-bonheur débouche sur des apparitions délicieusement immondes, intégrant des laves à la Alice Madness Returns qu'on reverra dégouliner dans un escalier. La scène phare de la vieille a son charme mais l'apparition est bancale (un mélange de poupée de plastique de boîte de céréales dans les années 1980-90 et de sorcière flétrie et junkie avec option gros museau). Cette forme réapparaît sans que la suggestion d'une filiation de Grippe-Sou soit répétée (elle gâcherait l'origine extraordinaire du démon métamorphe). Le temps de la confrontation contient les seules choses potentiellement marquantes, avec la tête de crabe façon The Thing et surtout l'autre extension crustacée. On trouve de jolis effets que le téléfilm n'aurait pu s'offrir. On explore différents tableaux et les colorimétries typiques dans le genre (moment joliment délavés de vieille vignette viciée -au parc-, ambres/citrine, éclairages émeraudes et bleu nuit dans l'antre de la bête).


Au rayon des petites gâteries, nous avons le cameo de King en vendeur torve et surtout l'apparition d'un fan revendiqué du premier film, le réalisateur Xavier Dolan. Il a dû trouver satisfaction dans sa participation. La seconde séquence du film résonne logiquement avec l’œuvre du créateur de Tom à la ferme, également connu pour des petits rôles où il se fait éclater (dès sa jeunesse grâce à Martyrs). S'il fallait fournir matière à bien paraître lors de la promotion, conserver la sous-intrigue avec le mari de Bev aurait été plus malin en plus d'être probablement bénéfique au film. Et puis il est beau de dénoncer un crime de haine, sauf que l'écrivain tartinait son ouverture du tome 2 de réflexions curieusement viles et incorrectes de sa part (en mode 'projections extrêmes et inquiétantes' sur les sombres backroom).


S'il n'y a pas d'anecdotes pour nous accrocher (séquences, détails d'un plan ou d'une performance, cameos), ce film ne laissera rien et sera seulement vu comme il est : bien plat. Son final est faible comme on aura eu tout le temps de le pressentir, mais surtout fait pitié. Cette pommade miteuse, pour apôtres du 'Moi c'est moi et je crois en mes rêves' et leur progéniture, donne une impression de racolage désespérément normal et faussement enjoué. En salles il vaut mieux prendre le risque de voir Wedding Nightmare ou même Midsommar (pour le premier les souffrances et la rage seront infiniment plus vives, pour le second le public aura davantage l'occasion de réagir et de façon intéressante).


https://zogarok.wordpress.com/2019/09/13/ca-chapitre-2/

Zogarok

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