Malgré un certain nombre de films traitant de la conquête espagnole de l'Amérique latine, et de la colonisation qui s'ensuivit, les américains précolombiens, en tant que peuple civilisé, restent des grands inconnus du cinéma. Tandis que les cousins du Nord passent le plus clair de leur temps à attaquer les convois de John Wayne, ou à enlever sa fiancée, on résume les Mayas, Aztèques, et Incas à leur penchant pour les sacrifices humains. Dernier en date de la série, Apocalypto (que je n'ai pas vu, mais qui semble exploiter la fibre jusqu'à la moelle). Dans Aguirre, on les aperçoit à peine, esclaves clichesques affublés de bonnets péruviens. Ramenés dans la jungle ils n'en sont plus qu'un émanation. Comme dans le Cannibal Holocaust de Deodato, ce sont des sauvages nus qui vivent dans des huttes de feuillage ... Si ils sont plus "pacifiques", c'est qu'ils sont christianisés. Voir la "Mission" de Roland Joffé.

Qu'un film soit consacré, en partie, à leur culture, voilà donc une initiative particulièrement bienvenue. Mais il serait réducteur de limiter le film à un simple documentaire-fiction ethnographique.

Car outre la formidable réussite visuelle de ce film, c'est un remarquable essai sur la Foi.

Le visuel justement, est au coeur de l'oeuvre. Ainsi, dans une des toutes premières scènes, alors que le héros navigue tant bien que mal sur un radeau de fortune en compagnie de camarades d'infortunes, la caméra s'attarde sur les yeux. Où se reflètent les torches d'une autre épave. Reflets de plus en plus lointains de leurs rêves de gloire et d'or, coulés en même temps que leurs navires. L'ensemble est superbe, tout en opposition entre le noir de la mer et du ciel (le passage est nocturne), et les voiles blanches constituées des chemises des naufragés.

Autre moment clé du film, la première guérison opérée par Cabeza de Vaca, sur un homme affecté d'une hémoragie oculaire. Car ce n'est pas tant l'oeil de l'indien qu'il sauve, mais son propre regard qu'il ouvre. Lui qui ne savait faire que complaintes, livré aux mains d'un nain samothrace grotesque, contraint de le nourrir, d'endurer ses brimades (admirable renversement de la situation classique de l'esclavage), éloigné de ses compagnons survivants, devient shaman, et retrouve une nouvelle Foi. La foi non plus en Dieu, ou en un dieu, mais en les hommes, et en la vie.

L'autre climax du film est explicite en ce sens. Au cours de la séquence, Cabeza de Vaca, effectue la résurrection d'une jeune fille que l'on allait encaver. Ce qui provoque la joie sans limites de ses thuriféraires indiens, mais l'horreur, la désapprobation même de ses camarades espagnols. L'on reste médusé qu'ils invoquent le diable, devant une si belle preuve de vie.

La critique dénonce aussi les visées colonialistes des nouveaux venus, et en particulier leur religion catholique, carcan pour les natifs. Comme le montre les somptueuses dernières images du film : un tambour espagnol escorte une cohorte d'esclaves, charriant une imposante croix de métal pour la nouvelle cathédrale qu'ils bâtissent. Tout est en lumière, le sable reflète les ardences du soleil, l'acier du crucifix géant luit comme un sabre. Mais l'épée de Damoclès n'est pas tant au dessus des crânes indiens qui la portent vers son lieu d'érection, mais menace les occiputs occidentaux. Car au loin l'orage gronde, de gros nuages noirs roulent sur la côte. L'ubuesque situation (une poignée de conquistadors matant un grand peuple), ne saurait durer, et la révolte aussi ronronne au sein des ventres affamés et brimés.

Belle réussite que ce film, qu'on regrette aussi "court". En plus du beau portrait de quelques tribus autochtones, c'est l'occasion pour Juan Diego de se livrer à un réjouissant jeu d'acteur, mystique à souhait.
Pedro_Kantor
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le 7 mars 2011

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Pedro_Kantor

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