1983, Nord de l’Italie. Dans la villa de ses parents, Elio (Timothée Chalamet) passe un été tranquille au milieu de ses amis. Mais un nouvel arrivant vient s’installer pour six semaines : Oliver (Armie Hammer), un doctorant venu aider le père d’Elio (Michael Stuhlbarg), archéologue. D’abord jaloux de cet homme à qui tout réussit, Elio découvre rapidement que cette jalousie cache en réalité des sentiments amoureux plus forts qu’il n’ose se l’avouer…
Quand ils n’ont pas d’histoire à raconter, la plupart des gens se taisent. Luca Guadagnino et James Ivory ne font visiblement pas partie de cette catégorie, puisqu’ils ont décidé d’en faire un film. Si on pourra se laisser séduire par la beauté toujours intacte de l’Italie ou par l’ambiance douce et légère qui se dégage de la mise en scène sobre de Luca Guadagnino, c’est en vain que l’on cherchera un scénario dans Call me by your name, ce qui est sans doute la raison pour laquelle il a obtenu l’Oscar du meilleur scénario adapté.
Ce ne serait pas une tare si les personnages se révélaient vraiment intéressants, malheureusement, c'est trop rarement le cas. Il faut dire que l’histoire d’amour entre les deux personnages principaux s’avère d’une absence totale d’originalité, passant par tous les clichés inhérents au genre romantique, à savoir le conflit entre les deux, la réconciliation, l’hésitation, l’acceptation et enfin (étape facultative) la séparation. Certains prétendront peut-être que l’originalité du récit repose sur l’homosexualité du couple principal, mais l'argument ne tient pas, étant donné qu’aujourd’hui, cela relève du conformisme le plus complet et surtout qu’Ivory et Guadagnino ont au moins l’intelligence d’aborder la relation entre leurs personnages principaux comme n’importe quelle relation amoureuse, et non de souligner à grands coups de marqueur noir les spécificités de l’homosexualité, finissant par produire l’inverse de l’effet désiré comme le fit un certain Abdellatif Kechiche dans une Vie d’Adèle de sinistre mémoire… Présenter les homosexuels comme des gens normaux, c’est donc le but que se sont fixés les scénaristes, et pour une fois, ils l’atteignent sans dommage, permettant de garder une certaine neutralité qui fait du bien en ces temps où tout est toujours sujet à de ridicules polémiques.
Le véritable problème ne vient donc pas de là, mais plutôt du propos général dans lequel les scénaristes insèrent leur histoire. La scène la plus pénible du film, sans doute bien plus que la très contournable mais déjà culte scène de la pêche, c’est surtout le dialogue final entre le père et le fils, d’un didactisme lourd et désespérant de superficialité, qui se résume à un « il faut profiter au maximum de la vie tant qu’on est jeune », étonnant de la part d’un James Ivory qui nous avait habitué à plus de subtilité. C’est bien là qu’est tout le poison du film : dans son apologie d'un hédonisme aveugle qui détruit tout véritable amour.
Comme le disait Chesterton, en parlant des prétendus libres-penseurs de son époque (qui devaient être plus ou moins les mêmes que ceux d’aujourd’hui) « ils parlent d’amour libre quand ils veulent dire quelque chose de tout-à-fait différent, mieux défini par désir libre » (La Chose, chapitre 6). Il en est de même pour la relation entre Elio et Oliver : elle n’est pas dictée par l’amour, mais par le désir. Là où l’amour est généreux, entièrement tourné vers l’autre, le désir est égoïste, davantage tourné vers soi, puisqu’il consiste avant tout en la recherche du plaisir personnel. N’est-ce pas là la terrible signification du titre, qui renvoie à une phrase dite par Oliver à Tom durant une nuit d’amour ? La phrase complète est bien éloquente : « Call me by your name, I’ll call you by mine ». A travers la figure de l’autre, chacun ne cherche en fait qu’à se retrouver soi-même, à alimenter son propre plaisir. Le désir est là, mais l’amour ? La relation entre Oliver et Elio est finalement purement égoïste.
Quant à l'apologie que fait le père d'Elio dans son discours final, elle n'est rien d'autre que l'apologie des relations « amoureuses » jetables, où la seule chose que l'on cherche, c'est soi-même. Considérer une relation amoureuse ou de désir comme une simple expérience de vie a quelque chose d'effrayant, une aberrante légèreté dans la manière d'aborder l'amour qui, finalement, ne fait rien d'autre que saper les bases de la vie en société en instaurant le refus de s'engager, de prendre ses responsabilités en main, comme un modèle. Et c'est malheureusement le triste symptôme d'une époque qui se concrétise dans ce film. Une époque où, s'étant débarrassé de Dieu pour se mettre à sa place, l'homme se voue à lui-même un propre culte, et ainsi s'autorise tout sans retenue, se débarrassant des règles encombrantes qui forgeaient la société. Une époque où l'on prône une liberté sexuelle totale sans voir qu'elle est peut-être bien l'instrument d'un totalitarisme d'autant plus terrible qu'il est consenti par ses victimes. En guise de conclusion, je me contenterai de rappeler ce constat glaçant d'Adlous Huxley en 1946, d'une lucidité qui n'aura fait que se confirmer avec le temps :
Un État totalitaire vraiment « efficient » serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d'esclaves qu'il serait inutile de contraindre, parce qu'ils auraient l'amour de leur servitude. (…)
A mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s'accroître en compensation. Et le dictateur (…) fera bien d'encourager cette liberté-là. Conjointement avec la liberté de se livrer aux songes en plein jour sous l'influence des drogues, du cinéma et de la radio, elle contribuera à réconcilier ses sujets avec la servitude qui sera leur sort.
(Le Meilleur des mondes, nouvelle préface de 1946)
A bon entendeur...