J'ai donc vu hier soir "Calmos" de Bertrand Blier (1976) et inutile de dire que je suis restée bouche bée devant tant de folie, de jusqu'au-boutisme dans le propos, d'éloquence et de gauloiserie (aujourd'hui) subversive.

La scène d'entrée est déjà extraordinaire : Marielle en gynéco qui reçoit une patiente, ne décroche pas un mot et se prépare une tartine de pâté et un verre de blanc alors que sa patiente attend, les pieds dans les étriers.

"La naissance de Vénus" et un homme parfaitement indifférent. Pire, exaspéré par la gent féminine qu'il voit comme assoiffée par le sexe.

Il décide de fuir, flanqué d'un acolyte déniché au hasard d'une déambulation (hilarante) dans la rue, Jean Rochefort. La guerre des sexes s'engage, un conflit qui prendra bientôt une tournure littéralement militaire.

À une femme qui lui demande alors sa route :

- Vous pouvez me dire où est la rue Flaubert ?

- Qu'est-ce que vous allez foutre rue Flaubert ?

- Ça ne vous regarde pas, et puis vous pourriez être aimable !

- En quel honneur ?

(et la magnifique tirade de Piéplu juste après : "Si je vous dis : maquis ? -Maquis, je pense sous-bois, silence, chaque bruit compte dans le silence, un oiseau qui s'éveille..")

Rochefort et Marielle trouvent alors refuge dans un petit village, non loin d'un truculent curé (Bernard Blier) avec qui ils vont se taper des gueuletons d'anthologie (j'ai alors beaucoup pensé à la Grande Bouffe). On a là un précipité de gauloiserie rabelaisienne macho mais absolument irrésistible, avec les mecs qui font la leçon à un gamin qu'ils découvrent en train de fricoter sous la pluie avec une femme.

"J'en ai marre d'être aimé, tu comprends", lance un Jean Rochefort dépité à son ami Marielle, au début de cette hédoniste et masculine retraite.

L'idée ? Se tenir à l'écart des femelles qui vont leur mettre le grappin dessus et les épuiser de leurs demandes sensuelles permanentes. J'ai aimé l'hédonisme simple et la franche camaraderie (pleine de charcutaille) de cette attachante "bromance".

Puis débarquent les compagnes de chacun (sublime Brigitte Fossey faisant un numéro de charme à un Blier rougeaud comme jamais) et Rochefort et Marielle doivent leur accorder quelques jours. Il faut les voir sur le quai de gare, chacun avec leur femme, l'air d'aller à l'abattoir... Dieu qu'ils sont drôles !

La seconde moitié est moins réussie, le réalisateur poussant (trop) tous les curseurs du délire grand-guignol à fond (avec un final qui me restera longtemps... Ces hommes lilliputiens qui chutent sur une énorme vulve et finissent dans un vagin... Il fallait oser !!).

Les hommes, qui ont pris le maquis tels des résistants à la tyrannie féminine, se voient pourchassés par des femmes soldates sur chars ("Le gland! Elles ne pensent qu'au gland !"), femmes qui usent d'un langage très fleuri, extrêmement cru et grossier (habituellement celui des hommes) pour parler de leurs désirs sexuels. On est là face à une inversion totale des rôles traditionnellement attribués à chacun des sexes et qui montre qu'à une tyrannie succède l'autre, selon les mêmes codes que les femmes s'approprient.

Les hommes sont finalement capturés, drogués puis enfermés dans un hôpital, attachés à un lit et contraints de se faire violer par des centaines de femmes faisant la queue (sans mauvais jeu de mots). Chacune a droit à 1m30 de baise, devant un jury qui finit par tamponner un reçu d'un "A baisé !", sous l'œil de capteurs et caméras qui vérifient les données de la bandaison.

Une folie complète, vous dis-je !

Mais fascinante, qui dit bien des choses sous ses dehors grotesques, des dérives du féminisme... Encore avait-on affaire ici à un féminisme qui voulait encore des hommes, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

On a dit de "Calmos" que c'était un film misogyne mais je ne trouve pas du tout, au contraire, le scénario nous campe des femmes toute-puissantes sur de pauvres hommes castrés et contraints de fuir pour s'éviter leur fureur sexuelle...

Drôle, dingue, plein de verve et de fantaisie, "Calmos" décrit une France qui paraît n'être qu'un lointain souvenir au spectateur de 2024... Celui d'un pays où les hommes et les femmes savaient rire ensemble, se moquer des travers des uns et des autres, afin de préserver la bonne santé de nos rapports.

O tempora, o mores !

BrunePlatine
8
Écrit par

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le 26 janv. 2024

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