Quatrième long-métrage d’Inés María Barrionuevo, née en 1980, en Argentine, Camila sortira ce soir accompagne les émois de son héroïne éponyme, déplacée de La Plata à Buenos Aires par l’hospitalisation, ultime, de sa grand-mère. Sa propre mère (Adriana Ferrer), sa sœur et elle-même emménagent dans le grand appartement citadin et bourgeois, à présent déserté, mais comme plongé dans le formol par la menace qui pèse sur l’aïeule. Durant cette hospitalisation d’une figure familiale que Camila (Nina Dziembrowski) n’aimait pas, l’adolescente affronte son insertion dans un nouveau lycée, privé celui-ci, et les liens complexes qu’elle y noue, avec un, puis une camarade de classe (Maïte Valero).

Sur un scénario d’Andrés Aloi, la réalisatrice argentine tisse habilement des thèmes aussi différents que les rapports entre élèves au sein d’un établissement et les risques de harcèlement auxquels ils peuvent aboutir, la vengeance amoureuse, l’ouverture à la sexualité, voire aux sexualités, les grossesses non désirées, les premières prises de conscience sociétales, la découverte de la politique, les premières manifestations, l’engagement, le regard porté sur les actions des adultes…

Hormis durant les nuits évoquées par le titre, où les teintes se font plus chatoyantes, le chromatisme principal se déploie dans des tons froids, comme éteints, allant du bleu au vert, en passant par le gris. Les contours et les reliefs apparaissent souvent comme très légèrement floutés, légèrement brumeux. Monde des limbes parfaitement saisi par la directrice de la photographie, Constanza Sandoval, et qui rend bien compte d’un âge véritablement suspendu entre enfance et maturité, où ce qui fut doit s’éteindre mais où ce qui sera n’est pas encore advenu. Avec beaucoup de sensibilité, la progression du film renforce cette zone d’inquiétudes en rendant de plus en plus présente la question des générations. Si bien que, en un jeu de basculement assez subtil, c’est finalement sur la mère de Camila que se déplace l’attention dans les scènes finales. Figure initialement de l’ombre, occupant une position également instable et fragilisée, entre une génération qui s’éteint et une autre qui accède à sa féminité et à sa vie d’adulte. Mais figure qui a permis celles qui découlent d’elle, même si elle atteint les heures où elle doit affronter la mort de l’un des deux êtres qui lui ont donné la vie. Un décentrage-recentrage qui dramatise aussi de façon enrichissante l’accession à la vie de la jeune Camila, ses excès, ses transgressions, ses audaces…



Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/camila-sortira-ce-soir-film-ines-maria-barrionuevo-avis-10058417/

AnneSchneider
7
Écrit par

Créée

le 3 mai 2023

Critique lue 346 fois

6 j'aime

4 commentaires

Anne Schneider

Écrit par

Critique lue 346 fois

6
4

D'autres avis sur Camila sortira ce soir

Camila sortira ce soir
Moizi
6

Un peu convenu

Camila sortira ce soir, avec son titre et son affiche fait une sorte de promesse au spectateur, une promesse de film féministe, engagé, mais également avec une esthétique forte. Et c'est sur ce...

le 29 mai 2023

2 j'aime

Camila sortira ce soir
Cinemaxipotes
8

Le dernier jour des humilié.e.s

Celui qui ouvre une porte d’école ferme une prison disait Victor Hugo. Sauf quand cette même école est déjà une prison. Forcée de quitter La Plata pour Buenos Aires afin de s’occuper de sa grand-mère...

le 17 juin 2023

1 j'aime

Camila sortira ce soir
Contrastes
7

Politique Intime

« Les premières amours restent captives d’un moment dont on prend congé à mesure que l’on s’éloigne de sa propre jeunesse. Les batailles morales et l’anxiété à propos de la sexualité des plus jeunes,...

le 14 juin 2023

Du même critique

Petit Paysan
AnneSchneider
10

Un homme, ses bêtes et le mal

Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...

le 17 août 2017

76 j'aime

33

Les Éblouis
AnneSchneider
8

La jeune fille et la secte

Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...

le 14 nov. 2019

73 j'aime

21

Ceux qui travaillent
AnneSchneider
8

Le travail, « aliénation » ou accomplissement ?

Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...

le 26 août 2019

70 j'aime

3