« Les premières amours restent captives d’un moment dont on prend congé à mesure que l’on s’éloigne de sa propre jeunesse. Les batailles morales et l’anxiété à propos de la sexualité des plus jeunes, la nostalgie d’un âge révolu, le basculement dans l’autonomie adulte tendent à faire de l’adolescence un monde qui se referme sur lui-même » déclare Isabelle Clair dans son livre Les choses sérieuses, enquête sur les amours adolescentes. C’est dans cet entre-deux mystifié que se place Camila.


L’auteur opère ici une mise au point sur le rythme de velours des corps en luttes. Il s’agit du conflit au cœur d’un temps de trouble. Le motif de l’adolescence envoûte, entraîne, et enlève les sensibilités dans un univers symboliste et tragique. Le point commun entre les démons baudelairiens et les silhouettes juvéniles à l’écran tient dans leur marginalité, leur élégance leste et fugace.


Dans le quartier aisé de Recoleta, une jeune effrontée ourdit une profonde colère croissant en révolte. Les couleurs aseptisées de ce microcosme ne vont pas tarder à devenir étouffantes pour cette héroïne hardie. Mûrissant en divergence, le personnage affronte le fantôme d’une classe murée dans des valeurs fossiles.


Le mouvement des corps, comme une onde cavalière, soulève et divise un milieu traditionaliste. Cet affleurement nouveau se fait sous le signe du vertige et de la sensualité, suivant les lignes serpentines de l’Amour taillant son arc. Ce printemps nébuleux arbore des couleurs de discordes et d’émois.


Une lumière ténébriste caresse les chairs des personnages. Ceux-ci tressaillent au rythme des turbulences et des passions. Le jeu presque bressonien dévoile la séduction ambiguë d’une jeunesse dorée qui oscille entre une recherche de distinction vis-à-vis de leurs pairs et du modèle imposé ainsi que le fond des revendications avancées.


Camila s’inscrit dans une vision incarnée de la politique et dans un militantisme à fleur de peau. Il se répand souvent la caricature d’une jeunesse passive dans la vie civique et recentrée sur des intérêts personnels. Inés María Barrionuevo se met ici en phase avec une approche inédite de l’action sociale qui va à l’encontre de la fantasmagorie romantique d’une politique détachée des enjeux intimes.


Doux-amer, psychologique et tout en retenue, Camila illustre une force différente dans un sourd grondement, pourtant musical. Entre harmonie des contrastes et mélancolie, ce film, à la fois cotonneux et violent, déploie un portrait amoureux du passage à l’âge adulte.


Site d'origine : Ciné-vrai

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le 14 juin 2023

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